Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
MANGIN@MARRAKECH
MANGIN@MARRAKECH
Archives
Derniers commentaires
9 juin 2010

CHKOUN ANA BLANDINE

Chkoun_Ana

 CHKOUN ANA

BLANDINE NOUS TRANSPORTE À LA TARGA AVANT 1967

 

Blandine vivait non loin de chez Sylvaine avec un an de moins, un an qui modifie le regard. Elle raconte une enfance heureuse où marocains et européens avaient tissés des liens d'affection, puis un quai de gare et la brusque perte de ses racines. Blandine nous l'a écrit par ailleurs, elle est revenue voir Sa Targa, elle ne l'a pas retrouvée, mais elle l'a conservée dans son coeur.(voir sur ce blog archives du 29 avril et 6 mai 2010)

© Rappelons que ce récit fait partie des éditions Chkoun Ana au titre réservé. Il ne peut être reproduit pour publication sans l'autorisation écrite de l'auteure et sans la mention de l'origine de l'édition.

Je m'appelle Blandine et je suis née en avril 1952, à Marrakech, dans la clinique de Madame Chevrier, que j'appelais maman2, comme beaucoup d'autres enfants qui avaient vu le jour avec son assistance...

Nous habitions à plusieurs kilomètres de Marrakech, à la Targa, dans le bled, une immense propriété de 200 ha, dont mon père tenait la gérance; cette propriété appartenait à ma tante..

Blandine002

Blandine sur le toit de sa maison

Notre maison était de plein pied, avec un bordj au dessus et un toit en terrasse, chaulé de blanc, et les murs étaient de cette couleur ocre si typique de Marrakech..
Notre maison n'était pas grande, mais à moi, elle me paraissait être un palace, elle était bâtie au milieu des orangers....mais, il n'y avait pas que des orangers, il y avait aussi des clémentiniers, des pamplemoussiers, des oliviers, des abricotiers, et des champs de luzerne, d'orge et de blé..
Derrière la maison, une grande basse cour avec toutes sortes de volatiles : poules, canards, pintades et aussi des lapins et beaucoup d'autres animaux...chevaux, ânes, cochons, vaches laitières..
Je me souviens du plaisir que j'avais d'aller avec Arquia préparer la pâtée des volailles, d'entrer avec elle dans le poulailler, et de distribuer cette pâtée...et aussi d'aller chercher des oeufs tout frais pondus, en chassant la poule qui les couvait..

Blandine005

Vergers chargés de fruits

Vivre au bled était une joie de chaque instant, tant il y avait à voir, à faire, à sentir, à regarder...nous n'éprouvions ni le besoin ni le désir d'aller en ville, chercher des distractions, nous les avions sur place, et c'était plutôt les petites filles et petits garçons des villes qui venaient à la rencontre des petites filles des champs!! certains, pour une journée du dimanche après la messe à l'église des Saints Maryrs, d'autres pour quelques jours à l'occasion d'un départ des parents, ou de petites vacances..

2tortues2

Tortue tirée de sa séguia

Quand les copines et copains venaient, nous pataugions avec délice dans les séguias à la recherche de tortues d'eau que nous ramenions à la maison pour les mettre dans des cuvettes..
Nous aimions aussi aller avec Mohamed ou Moktar, chercher de la luzerne, tout au fond du bled, assis dans une charrette, tirée par "Georges", un jeune mulet, et conduit par Mohamed ou Moktar...et au retour, alors que nous étions juchés tout en haut du tas de luzerne, ils s'amusaient à revenir au grand galop et nous devions alors bien nous accrocher, sinon, gare à la chute, mais c'était toujours un grand plaisir que d'avoir un peu peur et on riait beaucoup!!

p://storage.canalblog.com/33/05/511371/53818477.jpg">Clandine004

Meules de paille

Nous avions aussi un grand jeu, c'était d'escalader les meules de paille derrière la maison et de nous laisser glisser jusqu'en bas, la meule était notre toboggan, notre terrain d'escalade, notre meilleure cachette aussi quand on jouait à cache cache... je me souviens, un jour, elle a pris feu, des flammes gigantesques et le feu se rapprochait de la maison et les pompiers avaient du mal à l'éteindre, et maman nous avait dit:" petites, prenez vos affaires d'école et allez chez votre oncle"..celui ci habitait à une cinquantaine de mètres de chez nous..; l'odeur de ce feu, le crépitement des flammes, je les ai encore dans l'oreille!!  Après, maman avait offert des jus de fruit et des petits gâteaux aux pompiers fourbus et assoiffés..c'était, je me souviens, des pompiers français..

Les jours de grande chaleur, à l'approche de l'été, maman pendait des draps humides aux fenêtres qui étaient grillagées, à cause des insectes et autres bestioles désagréables.. et nous prenions alors des douches froides, ou bien, elle nous permettait d'aller dans le superbe jardin de ma tante pour nous baigner dans un des petits bassins carrelés de mosaïque, que ma tante avait parsemé dans son jardin comme autant de bouquets de fleurs...il n'y avait qu'un fond d'eau, mais c'était suffisant pour nous rafraichir..
Quelquefois, vers l'âge de douze ou treize ans, j'aimais dormir la nuit, l'été, sur la terrasse de ma tante, sur une pile de tapis épais, et là , entourée d'une moustiquaire, je passais quelques nuits à la fraiche, et j'avais alors pour toit, tout un ciel étoilé...

Blandine003

La cueillette des oranges

Un autre grand plaisir avec les amis, c'était de marcher dans le bled et d'aller cueillir des oranges directement sur les arbres, ou des abricots, les "mèche mèche", de préférence, ceux qui n'étaient pas mûrs..bien sûr, on n'avait pas le droit de les cueillir, mais les ouvriers fermaient les yeux et même nous en donnaient...merci à eux!!

Avec Arquia et son mari Miloud aussi, j'ai souvent fêté la fin du Ramadan...et la fête de l'Aïd el kébir...j'assistais à la mise à mort du mouton par Miloud à travers mes doigts à moitié ouverts, tant je tremblais pour ce pauvre mouton... Après sa mort, je participais à ma mesure d'enfant aux divers préparatifs culinaires avec Arquia..et le lendemain, j'étais solennellement invitée au repas, moi toute seule...ni mes parents, ni ma soeur...j'entrais alors chez eux dans une petite pièce sombre, au plafond bas et au sol recouvert d'épais tapis...je m'asseyais par terre à côté d'Arquia , autour d'un grand plat en terre cuite rempli de couscous odorant et appétissant, et Miloud m'offrait des morceaux de mouton que je mangeais avec les doigts, comme eux!! après, il y avait du melon, des oranges ou de la pastèque....je buvais du lait "caillé", au cours du repas, et ensuite du thé à la menthe!! quel bonheur de voir les petits verres se remplir dans un geste fin et raffiné, d'une rare élégance...et comme c'était bon!! Ce qui me ravissait aussi, c'est d'avoir été invitée comme l'enfant de la maison...en toute simplicité, sans façon...mais mon étonnement cependant de découvrir la première fois, un intérieur si différent de celui que je connaissais chez mes parents...là, ni table, ni chaises, ni armoires, ni cuillères ni fourchettes!! des tapis, des divans bas, et c'est tout!! mais quel accueil, quelle chaleur humaine pour la petite fille que j'étais....je me sentais si bien avec Arquia et Miloud... Arquia me ramenait le soir à la maison, dès la nuit tombée, car j'avais peur de rentrer seule dans le noir, et elle riait gentiment de ma peur, tout en ne me lâchant pas la main...

Blandine006

La récolte

Avec Abdallah, le caporal, c'est à dire le chef d'équipe et sur qui s'appuyait mon père, j'entretenais un rapport particulier..nous étions des amis d'échange de savoir, d'échange de culture...il m'apprenait l'Arabe parlé et moi, je lui apprenais à lire dans mes livres d'école, surtout la géographie..il récitait avec moi le nom des sommets des montagnes de France, avec l'altitude....il les connaissait aussi bien que moi...Abdallah avait des filles et des garçons, en tout sept enfants...seuls, les garçons allaient à l'école, ses filles restaient à la maison faire le travail de la maison et du potager, garder leurs chèvres et moutons..
J'aimais aussi faire du vélo, en roulant à côté des petits marocains du douar, qui eux poussaient avec une baguette une roue en ferraille, et nous faisions la course!! Je chantais aussi à tue tête une chanson apprise à l'école,"
Dans le vent d'Afrique, qu'il fait bon aimer, sous le soleil!!" etc..
Il y avait aussi une autre chanson que j'aimais bien, en Allemand, celle là, chantée par une Allemande...elle chantait la gloire des oranges du Maroc!! il m'arrive encore de la rechanter maintenant..c'est à la coopérative que mon père avait eu ce petit disque en vinyl!!!

Blandine001

Ma tante avait aussi une trentaine de paons et pannes...entre autres, il y avait le paon César et le paon Amilcar, très familiers et qui venaient nous manger le pain presque dans la main..; après, ils faisaient de superbes roues...on aimait penser qu'il la faisait pour nous remercier..
Nous menions donc à la Targa, une vie toute simple, familiale et amicale, sans autres besoins que ceux trouvés chez nous....
Je n'ai découvert la ville que plus tard, en allant à l'École des soeurs d'abord, à Notre Dame des Apôtres jusqu'en CM2, puis au lycée Victor Hugo jusqu'à la fin de la quatrième.; nous y étions demi pensionnaires...j'avais des amies diverses et très différentes les unes des autres, tant par la religion que par l'origine ethnique et aussi sociale....mes amies avaient pour nom en vrac, Rachel, Fatima, Patricia ou Joelle, Mercedes...mais nous jouions sans problèmes ensemble;, à chat perché, à la marelle, à la balle au mur, à tresser des scoubidous avec des feuilles de palmier....à fabriquer des sifflets avec des noyaux d'abricots...

1Tarot8465

Lycée Victor Hugo 5e1, 1965

Plus tard, au lycée, j'entendrais parler de ski, de ski nautique, au barrage Cavagnac, à l'Ouka!! je ne connaissais rien de tout celà....nous, nos sorties au barrage, c'était un grand pique nique partagé avec nos amis les plus proches de notre maison, assorti d'une balade et d'un tour en pédalo...et l'Ouka, nous connaissions le nom, c'est tout, nous n'y allions jamais, nous nous arrêtions avant, je ne sais plus où, mais il y avait là un petit restaurant, et assez de place et de neige pour fabriquer un bonhomme de neige!! 

Nous allions de temps à autre au cinéma, au Casino où j'ai vu le pont de la rivière Kwai...au Palace, en plein air où j'y ai vu le film " Le Lion" tiré du récit de Joseph Kessel!! nous allions aussi voir des pièces de théâtre avec l'alliance française..  mais ce qui me plaisait le plus, c'était d'aller chez mon amie, au café de chez Zézé...l'amie en question étant sa fille..; J'aimais siroter une limonade en dégustant une glace et en regardant les boulistes..mon bonheur était tout simple..avec elle, nous rêvions à quand nous serions grandes...et ce jour est venu très vite, trop vite pour moi...  car, un jour de l'année 1967, l'année de mes 15 ans, il m'a fallu partir, quitter notre maison de la Targa pour toujours...papa était parti avant nous, trois mois avant pour rechercher en France de nouvelles terres à travailler, et pour y faire construire une autre maison..
Nous, nous étions restées pour finir l'année scolaire avec maman et ma soeur.. puis ce fut à notre tour le grand départ, le 11 juin 1967!!

 
Je me souviendrai toujours de ce départ en train de la gare de Marrakech pour Casa d'abord, puis Marseille ensuite, pour remonter jusque dans les Pyrénées, où papa avait retrouvé une terre et une maison..Nos amis étaient là, mais surtout il y avait Abdallah, dissimulé dans un coin de la gare..à l'écart de nos amis...il pleurait silencieusement en me disant au revoir!!
La France, c'est une autre histoire.. premières impressions...perte de tous mes repères, perte de ma maison, de ma ferme, de mes amis Marocains, de mes amis Européens, perte de la liberté et des grands espaces, découverte du froid, du manque de lumière, du manque de compréhension de mes "pairs" lycéens de France...grand chagrin, gros chagrin......

Voilà donc en quelques lignes ce que fut ma vie de petite fille blédarde...vie en vérité fort simple.

© Blandine TAROT, Chkoun Ana, Mangin@Marrakech, 9 juin 2010.

Merci Blandine pour ce récit d'une enfance marocaine. Il ravive en nous nos souvenirs de jardins d'Eden et de paradis perdu, de partages confiants et de séparations inconcevables. 

Nous te sommes reconnaissants de raviver en nous ce que nous conservons secrètement dans nos mémoires.

Qui ajoutera des commentaires ? qui suivra l'exemple de Blandine et de Sylvaine en racontant son histoire à Marrakech  ?

Pour envoyer le texte de votre récit afin qu'il paraisse sur le blog, utiliser le lien "Contactez l'auteur" en haut et à gauche de cette page.

Publicité
Commentaires
L
Bonjour:<br /> <br /> je suis du targa zeddaghia marrakech
Répondre
M
l'évocation du Glaoui m'a beaucoup touchée Mon père aussi l'a bien connu et il m'a tenue sur ses genoux Tout comme Monique j'ai dû jouer sur les tapis du palais ... C'est étrange que nous nous soyons rencontrés tant de temps après nos parents et surtout que nous ayons sympathisé.<br /> A bientôt Hassan JPierre et mon fils vous saluent chaleureusement A bientôt peut être
Répondre
M
l'évocation du Glaoui m'a beaucoup touchée Mon père aussi l'a bien connu et il m'a tenue sur ses genoux Tout comme Monique j'ai dû jouer sur les tapis du palais ... C'est étrange que nous nous soyons rencontrés tant de temps après nos parents et surtout que nous ayons sympathisé.<br /> A bientôt Hassan JPierre et mon fils vous saluent chaleureusement A bientôt peut être
Répondre
B
Blandine, la luzerne en arabe se dit "bersim" , moi qui ne la connaissais que sous ce nom, j'ai fait l'analogie bien des années +tard , lors d'un voyage en Egypte lorsque voyant d'immense champs j'ai dit au guide , "c'est du bersim ça !" il m'a répondu " comment tu connais ce mot toi ?"....<br /> Et on reparle de son enfance,du bled, des mots qui se ressemblent...
Répondre
B
BLEDNA !!!!<br /> <br /> Bonjour Blandine,<br /> je suis également de la Targa, ai vécu les mêmes émotions liées au même parcours( Nôtre Dame des Apôtres,mais lycée Mangin ,puis rentrée en 1966 à Arles,ville inhospitalière et très triste à cette époque ) j'ai moi aussi marché dans les séguias,attrapé les tortues, les tétars, mangé les abricots sur l'arbre, ramassé les oeufs, bu le lait tiède tout juste trait, parcouru le bled à vélo, une jambe sous la barre du cadre ( vélo de mon père )ou à pieds avec ma meilleure amie à nous projeter dans un avenir glorieux d'étudiantes que nous n'avons pas été finalement ( sommes tjrs en contact),j'ai dormi des nuits entières dehors avec toute la famille sur une bâche qui nous protégeait de l'humidité du gazon,connu la trouille de rencontrer un scorpion ou une tarentule en descendant à la cave chercher des provisions....Je suis retournée plusieurs fois sur le bled (mitoyen du bled Gouilloud)en Mai dernier encore, et je suis tjrs accueillie avec chaleur par les qqs anciens qui s'y trouvent tjrs, dont cette femme qui m'a vue naître et qui me servait une louche de lait tandis-qu'elle trayait les vaches...J'avais 23 ans lorsque je suis arrivée en France, bien décidée à ne "pas regretter" mais j'ai le Maroc dans le coeur et Marrakech dans la peau...Chaque année je retrouve mes amis au Moussem, et chaque fois que je retourne à Marrakech, c'est un arrachement que de devoir le quitter !! Merci Blandine de ce témoignage, avec les meilleurs sentiments d'une autre "Targaouia", Salam alek<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Vous
Répondre
Publicité
MANGIN@MARRAKECH
  • BLOG DES MARRAKCHIS DU XXe SIÈCLE: AUX TEMPS DE L'AVENUE MANGIN DEVENUE BOULEVARD MOHAMED V, DU CAMP MANGIN DEVENU CAMP DE L'ARMÉE ROYALE ET DU LYCEE MANGIN TOUJOURS PROLONGÉ PAR LE LYCÉE VICTOR HUGO,... SALAM MRK ! SOUVENIRS, CONTACTS, RETROUVAILLES
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité