CHKOUN ANA EST UN LIVRE DE SOUVENIRS DE MARRAKCHIS À PLUSIEURS MAINS

 

Chkoun_Ana CHKOUN ANA - ROGER BEAU BEAU387

 

mp;sig=AGiWqtzNmY-AI5pAsSiQczX6nNUg8qljiQ&adurl=http://www.copyright.be/index.html" id="an1">© Le titre, les textes et les photos sont protégés par copyrights et ne peuvent être reproduits sans l'autorisation de l'auteur et sans la mention de l'édition: Chkoun Ana - Mangin@Marrakech, 26 Juin 2010.

LE BLOG A PUBLIÉ DEUX TÉMOIGNAGES DE JEUNES FILLES DU BLED : SYLVAINE GAMBA ET BLANDINE TAROT QUI ONT QUITTÉ MARRAKECH À 15-16 ANS. LE RÉCIT SUIVANT EST CELUI D'UN JEUNE DU RIAD ZITOUN KÉDIM EN MÉDINA DE MARRAKECH QUI NE PARTIT DU MAROC QU'À L'AGE ADULTE ...

 

A la recherche du temps effacé, d'un Marrakech estompé

(Chronique ou saga du temps passé)

Passé simple ? Non, passé recomposé !

Sur une pierre façon tombale de la couleur ocre rouge de la terre du Haouz ceinturant Marrakech, on pourrait lire, digne de l’imagination d’un auteur de science-fiction, l’inscription suivante :

 

Ci-ne-gît-pas Roger BEAU, né à Marrakech le 11 juin 1936,

Aurait-il oublié Marrakech à la fin de l’année 1956,

 Alors qu'il sillonna les rues de sa ville natale jusqu’en juillet 1973 ?

 

Puis en forme d’épitaphe, le facétieux aurait ajouté :

On me nomme Moun-É-Ro. Les roumis écrivent Mounéro. Je suis un djinn de légende, vague cousin de ceux qui inspirèrent les chroniques de Jeha. Pour honorer un inconnu, j’ai décidé de lui faire raconter ses souvenirs

Telle est donc l’histoire que ledit Moun-É-Ro prétend rapporter.

Je m’appelle Roger BEAU. On m’a rapporté que j'étais né à Marrakech en 1936. On ne m’a pas dit que c’était sous un ciel béni des dieux. Un avenir encore lointain allait m’apprendre que trop de chance trop tôt engendre ultérieurement peine et nostalgie. A cette époque là j’étais un peu jeune pour en avoir conscience.

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Photo de mariage de Marcel Beau et d'Yvonne Faure, les parents de Roger

De ma petite enfance, je n’ai souvenance que d’images fugaces :

· Image de mon grand-père : Il m’avait taillé une canne à ma mesure, car je voulais en tous points l’imiter. Il était arrivé à Marrakech vers 1912 ou 1913. Il en est hôte définitif du cimetière du guéliz depuis 1939 ;

· Image d’une école maternelle : Je revois son préau et quelques marches d’escalier. Ma mère disait que j’y étais inséparable d’une certaine Annie Crespo, mais de ce fait je n’ai pas la moindre réminiscence ;

· Images d’un retour triomphal de ma mère et d’une de ses amies vers 1941 : Ce jour là, Mme DAMIDEAU, l’épouse d’un commandant d’aviation alors dans la R A F, et ma mère avaient décidé de proposer des Croix de Lorraine aux clients de la Mamounia. Elles avaient osé en offrir et réussi à s’en faire acheter par les membres de la commission allemande laquelle avait alors établi ses quartiers dans ce palace.

En automne 1944, le commandant DAMIDEAU, qui se trouvait en permission chez lui à Marrakech, fut rappelé d’urgence. Il réintégra la France avec son épouse. Le couple nous laissa en gardiennage un chien berger allemand du nom de Dick. Ce chien avait été décoré pour faits de guerre. Il trouva chez nous une compagne nommée Yéta, berger allemand aussi. Ils ont probablement vécu quelques années heureuses. Ils sont morts à peu près en même temps. Depuis je n’ai plus jamais accepté d’avoir de bergers allemands chez moi ;

1942_11_08_Casa_03 Tract lancé par 1942_11_08_Casa_02 les américains1942_11_08_Casa_01 à l'occasion de leur  débarquement sur les côtes marocaines.

· Images d’un soir d’automne 1942 : Ma grand-mère et ses employés mettaient une dernière main à la fabrication de la charcuterie du lendemain, lorsque retentirent des sirènes d’alerte. L’électricité fut coupée. C’était le débarquement des américains sur les plages marocaines. La guerre des alliés contre Hitler et ses nazis entrait en phase de reconquête. Un bruit de sirène me trouble encore aujourd’hui, quelle que soit la raison de son déclenchement ;

A défaut d'une photo de 1942, une photo de la Boucherie Faure en mars 1932 Riad Zitoun Kédim

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· Images du docteur CHEVILLARD DE BETLAND : Ce toubib se débrouilla pour que je sois opéré des végétations, puis plus tard pour faire en sorte que mes fesses soient transformées en passoires, par la grâce d’une piqûre quotidienne. Mme Hubert JELINECK était son bras armé (de la seringue). Le toubib prétendait qu’il fallait me protéger d’un risque pulmonaire… un proche avenir allait lui donner raison, le bougre ;

· Images des étés des années 41 à 43, en colonie de vacance à Sidi Farès : C’était le séjour d'été des gamins de Marrakech. René MERLE (déjà) et moi détestions d’autant plus ce séjour que nos mères respectives avaient obtenu que nous soyons dans des chalets différents, compte tenu de notre aisance à semer la pagaille. Nous n’y parlions que d’évasion. Le dimanche, à la manière des indiens, nous avions l’oreille collée aux poteaux du télégraphe (en vérité du téléphone, mais Far West oblige…) afin d’entendre l’arrivée de la caravane (bus ou camions) qui amenait nos parents et leurs amis ;

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· Images des séjours estivaux à Azegour les années suivantes : René (encore), son jeune frère Jean-Claude et moi étions expédiés en été chez M. et Mme CAPAÏ. Cette dernière préparait des pâtes délicieuses mais des aubergines peu ragoûtantes à notre avis. Elle nous imposait aussi une sieste exécrable. J’allais apprendre, en avril 2003, qu’un futur ami du début des années 1950, Rémy POILVET, venait y rendre visite à sa sœur Guillemette, alors tout juste sortie du berceau ;

· Images d’un vieil Hadj de Riad Zitoun Kédim où j'habitais : D’un retour de la Mecque ce voisin m’offrit un petit pistolet-briquet, souvenir qu’il avait rapporté pour moi de son lieu de pèlerinage. Je possède toujours cet objet, véritable trait d’union entre deux générations, entre deux religions, entre deux nationalités, entre le véritable marrakchi depuis des générations et le petit produit d’un protectorat qui serait bientôt rejeté. Ce saint homme, que tout le monde appelait simplement El HADJ, m’a appris un jour qu’il lui semblait impertinent de dire M’bark Allah ou fik (phonétique incertaine) qui est la marque de celui qui sait envers son disciple, mais Chokrane, qui équivaut à un merci à la roumi (à la française). Ce sage m’a communiqué dans cette leçon pleine de tact ce qu’était le respect et la modestie. Je n’aurais jamais dû oublier ces préceptes ;

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École Arset el Maach - novembre 1946 - CM2 - Roger,1er rang 8e en partant de la gauche.

· Images de l’école primaire de la médina : Mes copains de classe étaient ABITBOL Guy, AMALOU Mustapha (à l’époque c’était Gustave), les frères FEUGAS (Etienne et Pierre), PANNETIER Louis, PORT Claude (Coco), TOUNSI Ahmed (qu’on surnommait Zitoun, surnom qu’il détestait), et René MERLE bien entendu, sans oublier le mal nommé PETIT qui avait charge du cahier des punitions infligées par Monsieur ABERT, le directeur.

Il y avait aussi les institutrices telle Mademoiselle BOCQUEL en CP, Mme POURCELLE en CE2, Mme SAUVAGEOT en CM1, et M. ABERT en CM2. Le maître de CE1 se nommait M. COCHETEL, comme me l’a rappelé Jean-Claude ROCHER en 2003. Je ne me souvenais plus de son nom car on m’avait fait sauter cette classe du fait de mes présumées capacités , ce qui m’a valu un peu plus tard de redoubler successivement le CM2, puis la sixième, à la clé des problèmes de santé pulmonaire qui s'étaient précisées

Notre chanson préférée à la veille des grandes vacances avait pour paroles :

Gai, gai, l’écolier, c’est demain les vacances,

Gai, gai, l’écolier, c’est demain les congés.

Passons par la fenêtre, cassons tous les carreaux,

Cassons la gueule au maître à grands coups de sabots…

Nous prenions garde que Monsieur ABERT et les autres maîtresses ou maîtres n’en perçoivent les paroles. Nous n’avons jamais été punis pour cette frasque. Avec l’expérience de l’âge, je suppose qu’ils devaient entendre, mais cela leur rappelait sans doute leur jeunesse, et par là, intensifiait leur surdité…

Pour ce qui est des chants scolaires officiels, avant le 8 mai 1942, le père ABERT devait avoir comme instructions de nous faire entonner Maréchal, nous voilà. Après, ce fut La Marseillaise et La Victoire en chantant. Revirement consécutif à un tournant essentiel de l’histoire. Mais à l’époque, nos ennemis héréditaires n’étaient ailleurs qu’au guéliz, et quand on parlait d’eux, ce n’était que pour leurs promettre maux et marrons. Pourtant je n’ai pas de souvenance que nous soyons un jour passés aux actes ;

· Images des filles de l’école d’à côté : De cette école mitoyenne dirigée par Mme DURAND, (à l’époque, on ne mélangeait pas les filles et les garçons) émergent deux noms, celui de Michèle CHEVALIER et surtout celui de la fille du facteur, Francine PIETRI. Je revois encore cette dernière aux cheveux blonds comme les blés et aux yeux couleur du bleu pur d’un ciel d’hiver à Marrakech. La pudeur m’interdit d’admettre que j’en étais amoureux (je n’avais pas 10 ans), comme elle m’interdit d’avouer que j’ai toujours eu un faible pour les longs cheveux blonds des filles ;

· Images de nos détours chez notre marchande de journaux. Certains jours, il y avait quelques règlements de compte à la sortie de l’école (on disait : j't’attends à la sortie, au coin du mur, car un mur d'enceinte séparait alors la rue Arset El Maach de l'école). Dans le cas contraire, lorsque nous n’étions pas couverts d’horions ou le nez en sang, et donc pas pressés d’aller en faire disparaître les traces avant l’inspection des parents, nous tenions à passer chez la ravissante France PRIMAT. Je n’étais pas le seul à admirer sa beauté et son sourire : tous ses jeunes clients de l’école, sans exception, étaient dans le même état d’esprit.

J’ai revu France une dernière fois début juillet 1954, rue Commercy à Casablanca, en compagnie de son époux Monsieur MALVALLE. J’ignorais alors qu’un terrible accident allait l’emporter quelques jours plus tard. Si, de quelque part, elle lit par-dessus mon épaule, qu’elle pardonne notre admiration silencieuse aux gamins que nous étions.

De mai 1947 à septembre 1948, se déroula pour moi une parenthèse en France, pour les raisons de santé annoncées. Si le séjour m’a sans nul doute été bénéfique, j’en avais surtout retenu le froid de Villard-de-Lans. A mon retour à Marrakech, donc chez moi, je m’étais alors bien promis de ne plus jamais aller dans cette contrée glaciale qu’était la France. Je ne savais pas encore que peu d’années plus tard d’autres décideraient de mon devenir, non en me chassant de chez moi, mais en faisant en sorte que je m’y considère comme étranger.

Le récit n'est pas terminé, après la suite des images de l'enfance viendront les années lycée. La photo du haut est celle de Roger le jour de sa communion, passage de l'enfance au début de l'adolescence. On remarquera des similitudes avec les récits de Sylvaine et Blandine, mais aussi des différences. Vos commentaires sont les bienvenus.