LA MÉDINA DE MARRAKECH EN CARTES POSTALES DE 1917 À 1924
L'ÉDITEUR DE CARTES POSTALES L.L. PUBLIE DE NOMBREUX CLICHÉS DE MARRAKECH SAISIS À PARTIR DE 1917 PAR UN PHOTOGRAPHE INCONNU
© Cette présentation des Editions LL et de ses photographies sur Marrakech est originale, elle ne peut être reproduite, même en partie sans l'autorisation de l'auteur et la mention de Mangin@Marrakech à la date du 27 aout 2015.
LA COLLECTION DES VUES NON NUMÉROTÉES
Titrée MARRAKECH avec des majuscules écrites en italique. Les deux premières cartes sont dentelées et ne portent pas la marque L.L.
Place Djemaa El Fna et la Koutoubia - Les constructions déja présentes comme la Poste de la Médina et celles encore absentes permettent de dater ce cliché de 1917. Au premier plan deux "halkas", l'une avec des danseurs, l'autre avec un charmeur de serpents. Nous ne connaissons pas le nom du photographe; il a été probablement recruté par Edouard Crété. Cette vue sera rééditée dans la série numérotée avec le N° 1 et un léger recadrage plus serré, mais il s'agit du même cliché. En 1923-24, un autre cliché montre les immeubles en construction à droite au pied de la Koutoubia et les véhicules de l'époque.
Riad Zitoun Djedid et la Mosquée
La carte ne porte pas la marque L.L. Mais c'est provisoire; en achetant l'entreprise aux frères Lévy, Edouard Crété a aussi acquis la marque qui fait sa réputa -tion. Riad Zitoun Djedid est un quartier de la Médina où vivent bon nombre d'européens à cette époque. On en voit un de dos, croisant paisiblement un marocain juché sur sa monture.
Le marché aux légumes - LL - À cette époque les petites échoppes couvertes d'une simple toile peuplaient la place.
Galerie des Tombeaux Saadiens - LL - Le photographe s'intéresse à tout ce qui est monu - mental. C'est proba- blement le premier à mettre en valeur les tombeaux Saadiens, le photographe Félix ne s'y interessera que beaucoup plus tard. Ce cliché portera le numéro 9 dans la série numérotée.
Marchands de Poteries au Souk Khemis - LL - Le cliché est original; le photographe de L.L. est le seul à avoir mis en valeur la vente de poteries à cette époque. Alan Lennox avait publié une photographie de potier façonnant un vase sur son tour, mais il s'agissait plus d'une référence biblique.
Un coin de la Palmeraie - LL - Ce bassin du côté de Bab Doukkala a été pris par de nombreux photo-graphes. Ici les palmiers se reflètent sur les ondes.
Avenue de la Koutoubia - Entrée de la Médina - Site pris de plus loin que le cliché portant le n°73 dans la série numérisée. Sur la gauche on distingue la voie ferrée, dite "voie de 60" qui permettait de transporter les pierres de la carrière du Guéliz jusqu'au côté ouest de la place Djemaa El Fna. Les jeunes arbres sont protégés afin de ne pas être dévorés par les animaux de passage.
Ces vues doivent être datées de 1917, elles sont à rapprocher d'autres vues de Félix n°97 ou n°115 de la même année. Les deux frères Lucien et Ernest Lévy vendent leur entreprise. La guerre a effondré les ventes de cartes postales. Ils cherchent à céder leur société à un imprimeur spécialisé dans l'impression avec des illustrations photographiques.
Mais d'où viennent les initiales L.L. ?
À l'origine de L.L. deux associés: Moyse LÉON et Georges LÉVY, son gendre. Ils ont appris le métier chez Ferrier et Soulier, notamment dans la réalisation de vues stéréoscopiques. Ils prennent la succession de l'entreprise Ferrier en 1864 en créant la société Léon et Lévy (L.L.) et constituent un catalogue avec au départ des vues d'Egypte, Syrie et Constantinople. Ils élargissent à l'Espagne et au Maroc (1895) et leur catalogue comprend plus de 30 000 vues des cinq continents.
Georges Lévy devenu seul, change le nom de son entreprise en J. Lévy et Cie, qui devient vers 1895 Lévy fils et Cie Éditeurs Paris Versailles. L'entreprise édite de nombreuses cartes postales, des albums et des livres illustrés. Les deux fils, Lucien-Abraham et Ernest-Gaspard Lévy * déposent la marque L.L. en 1901 et décident de se spécialiser dans la carte postale. L'entreprise devient la plus importante maison d'édition de cartes postales derrière celle des frères Neurdein (ND Phot). Leur père, Georges Lévy meurt en 1913. (certains par erreur écrivent Louis Lévy)
L'imprimeur Édouard Crété de Corbeil va acheter successivement les deux sociétés; il reprend d'abord celle des frères Neurdein, puis celle des frères Lévy vers 1917. Cependant ce n'est qu'en 1921 qu'apparait la société "Lévy et Neurdein réunis". La marque L.L. est conservée pour les rééditions des collections des frères Lévy . En 1932 l'ensemble passe dans la Compagnie (Alsacienne) des Arts Photomécaniques.(CAP).
Un photographe inconnu..
Plusieurs photographes ont travaillé pour L.L.: Bisson en Egypte, Chauvelin en Tunisie et bien d'autres ailleurs dont nous ne savons pas les noms. Même si la firme a réalisé une campagne de prises de vues au Maroc vers 1895, nous ne pouvons affirmer que l'un des deux frères soit lui-même photographe. Les prises de vues pourraient avoir été réalisées par deux photographes espagnols. Avant le XXe siècle peu de photographes pénétrèrent à l'intérieur du Maroc, ils étaient seulement tolérés dans certaines villes de la côte comme Safi, Mogador ou Azemmour.
Les clichés de Marrakech paru sous la signature L.L. sont de la fin de la Grande guerre. Edouard CRÉTÉ, imprimeur à Corbeil est le nouveau propriétaire de l'entreprise (certains par erreur écrivent Émile Crété). Edouard conserve la marque L.L. même après la constitution de "Lévy et Neurdein réunis" en 1924. Le photographe auteur des clichés n'est pas marrakchi, mais de passage dans la Ville rouge, il effectue une mission photographique pour Edouard Crété. Il s'agit peutêtre du photographe Sandoz, mais nous n'en avons aucune preuve. Les quatre fils d'Edouard ont leur place dans l'entreprise: en 1927 Georges est à la typo, Pierre à l'héliogravure, Max à l'offset et Maurice au commercial. Les cartes postales L.L. seront imprimées, au moins en partie et dès 1924 à la Compagnie des Arts Photomécaniques-Strasbourg (CAP). entreprise qui succédera en 1932 à la famille Crété et à la société Lévy et Neurdein réunis.
* Ernest Lévy lors de son mariage en mars 1887 avec Louise Alcan déclare la profession d'employé de commerce, et non celle de photographe.
Il est dommage que nous ne connaissions pas le nom du photographe qui vint en 1917 à Marrakech immortaliser une époque importante pour la Ville rouge. Nous lui devons de beaux clichés que nous retrouvons dans d'autres collections ultérieures car ils restent d'actualité. À la différence du photographe Félix, il n'est pas marrakchi et son intérêt se porte beaucoup plus sur les monuments et sur le patrimoine, alors que Félix s'intéressait à cette époque à tout ce qui concernait les préoccupations des marrakchis et notamment la sûreté de leur ville et les événements qui la concernaient notamment les visites du Sultan Moulay Youssef ou du Résident général. Le photographe de L.L. qui vient à Marrakech à cette époque a probablement aussi l'idée de réaliser un catalogue touristique qui se démodera le moins possible avec le temps. N'oublions pas que L.L. disposait d'une banque d'images du monde entier presque aussi importante que celle des frères Neurdein.
LE DÉBUT DE LA COLLECTION NUMÉROTÉE
Le photographe de L.L. en 1917 a pris des clichés à champ large. Par la suite, l'éditeur va les recadrer en focalisant sur une partie de l'image, tout en gardant les mêmes numéros et souvent les mêmes légendes. Parfois les légendes initialement surimprimées sur l'image sont déplacées à la base de l'image, les lettres ne sont plus systématiquement en italiques. Suivant les éditions, les légendes sont soit en minuscules, soit en majuscules.
N°1 Place Djemaa El Fna. L'éditeur n'a pas vu qu'en déplaçant la légende, il décapitait du même coup la Koutoubia. Si on compare avec l'édition non numérotée on constate aussi que la vue a été amputée de la première "halka" au premier plan.
N¨2 Danseurs et Charmeurs de Serpents - Place Djemaa el Fna - LL - Le photographe a saisi les mêmes "halkas" que celles du cliché précédent à quelques minutes d'intervalle.
N°3 Souk du Riad Zitoun Djedid - LL - Comme nous avons eu l'occasion de le dire le Riad Zitoun était le quartier de la médina avec celui de Bab Doukkala où il y avait le plus d'européens. À cette époque le quartier du Guéliz n'était pas assez peuplé et équipé pour les attirer.
N°5 Porte des Portugais - Bab Aguenaou - LL - Le photographe met en valeur l'aspect monumental de la porte. Il saisit un moment où des marocains s'en approchent pour en montrer la taille imposante.
N°6 Un coin de la Palmeraie - LL - Cette vue a été prise le même jour que celle présentée plus haut dans la série non numérotée avec un âne. Elle existe aussi dans la série non numérotée.
N°8 La Koutoubia à travers les Palmiers - LL - Dans la tradition des photo-graphes qui ont silloné le proche orient, les monuments sont accom-pagnés de person-nages. Seuls les tombeaux Saadiens ont échappé à cette mise en scène classique.
N°9 Galerie des Tombeaux Saadiens (voir le même cliché dans la série non numérotée).
N°12 - Palais de la Bahia. Cour d'honneur - LL - Le photographe inconnu a pris soin de faire apparaître les vasques de la Cour d'honneur.
N°13 Panorama vu du Palais de la Bahia - LL - Les toits de la Médina ont intéressé de nombreux photographes, surtout depuis les toits du Mellah. Cette prise de vue depuis la Bahia est originale, elle suppose une autorisation obtenue des services du Maréchal Lyautey.
N°14 Panorama vue du Bab Doukkala - LL - Corrigé en: Panorama vu de Bab Doukkala dans d'autres éditions. Le cliché a probablement été pris depuis le sommet de la porte de Bab Doukkala.
N°15 Vue générale vers le Palais du Sultan - LL - Le palais du Sultan est à peine visible à l'horizon.
N°17 Entrée de Bab-Doukkala et la Ville - LL - Cette porte, patrimoine de Marrakech, a disparu. Grâce aux photographes, nous en avons le souvenir .
N°18 Le Souk Kémis - LL - (!lire Khemis). Le souk du jeudi était plus important et plus ancien que celui de la place Djemaa el Fna.
N°19 Porte de Bab-Khemis - LL - Autre monument de la ville que le photographe immortalise. Une édition précédente portait "Bab-Kemis". Cette porte est relativement basse, ce qui est accentué par les personnages qui s'apprêtent à y entrer.
LE RETOUR DU PHOTOGRAPHE INCONNU
Edouard Crété, propriétaire de l'Imprimerie Crété de Corbeil, a fusionné les sociétés des frères Neurdein et des frères Lévy et a scellé cette fusion en 1924 en créant "Lévy et Neurdein réunis". Le même photographe (ou un autre) vient à nouveau à Marrakech pour ajouter des images à la collection LL. Nous en avons le témoignage avec le modèle de véhicule qui figure sur les clichés. Sur la carte postale ci-dessous, dans le coin en bas à droite, le véhicule montre que nous sommes en 1923-24.
N°26 Panorama de la Médina - Place Djema El Fna - LL- Les commerçants plantent leurs tentes de formes très variées . Ce cliché pourra être comparé aves la vue n°117 afin de mieux voir les rénovations quelques années plus tard. Les photographes Algéro-Marocains Nathan BOUMENDIL et fils ont signé le même cliché avec le même numéro. C'est une indication pour supposer que le photographe inconnu est de la famille BOUMENDIL.
N°27 Place de Bab-Berrima et Souk des Ferblantiers - LL - Un cliché très réussi de cette place qui a déjà été photographiée sous toutes les coutures avec plus ou moins de bonheur.
N°28 Une Rue du Mellah - Quartier Juif - LL - Juifs et musulmans dans leurs négoces. Contrairement à ce qu'on pourrait penser de l'entreprise des Frères Lévy, la collection comporte peu de vues concernant les juifs de Marrakech. Les photographes qui ont le plus illustré le Mellah sont incontestablement Maillet et Limanton de Casablanca.
N°30 Rue des Forgerons - LL - Une des rues les plus fréquentées par les touristes. Reynolde Ladreit de Lacharrière l'avait décrite en 1911 comme très pittoresque.
N°32 Rue El-Ksour - LL - Une autre rue active de la Médina
N°35 Souk de la Vannerie - LL - La vannerie n'a plus l'importance qu'elle avait à cette époque.
N°36 Intérieur du Souk des Etoffes - LL - les nouveaux bâtiments couverts du souk aux étoffes. Le photographe avait proposé plusieurs épreuves à l'éditeur LL. Ci-dessous un tirage d'essai portant le n°8, d'un cliché qui n'a pas été retenu.
À gauche le N°102 de Aomar Zemrani, Galleries moghrébiennes
N°37 Intérieur d'un souk -LL - ici chaque échoppe a son auvent, la rue n'est pas couverte par un toit étanche.
N°39 Une rue de la Médina - LL - Il s'agit d'un derb du quartier du Mouassine. (voir commen -taire d'Halfaoui) XXXXXXXXXXXXXXXX
N°40 Une rue - LL - Le photographe n'a pas noté le nom des rues au moment de la prise de vue. Ici ce qui l'intéresse sont les vestiges d'un passé historique qui est en voie d'être oublié. Les ruines sont dans la ville et les portes ont été usées par les frottement des charges des chameaux sur des briques qui ne sont plus protégées des pluies.
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Nous arrêtons ici (provisoirement) la présentation des clichés du photographe de LL qui nous a fait visiter principalement les rues et les souks. Nous poursuivrons bientôt par les clichés suivants qui s'intéressent aux mosquées, portes, tombeaux et palais marrakchis. Au contraire du photographe Félix, celui de LL s'intéresse très peu au Guéliz. Souvenons-nous qu'il préivilégie les monuments et le patrimoine historique ancien qui se trouvent en médina; il s'intéresse peu à ce qui est récent. En fait, le photographe Félix et les collections de LL se complètent pour le plus grand plaisir de tous les marrakchis. Nous le vérifierons encore dans l'article à suivre. À BIENTÔT !
Canalblog a apprécié cet article en le distinguant parmi les blogs à suivre. © Cette présentation de Michel de Mondenard sur les Editeurs L.L. de cartes postales de Marrakech entre 1917 et 1924 est originale; elle s'intéresse aux objectifs poursuivis par les éditeurs et les photographes et sur leur contribution à la mise en valeur du Marrakech de cette époque. Cet article ne peut être reproduit sans l'autorisation de l'auteur et la mention de Mangin@Marrakech 27 aout 2015.