BONNE ANNÉE 2021 AUX AN-CIENS DE MARRA-KECH !
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LE NUMÉRO 64 DE LA REVUE RÉALITÉS (mai 1951) MONTRAIT EN PREMIÈRE PAGE DE COUVERTURE DEUX VISAGES DE JEUNES MAROCAINES ET CONSACRAIT TOUT UN DOSSIER SUR LES OFFICIERS A.I. "AFFAIRES INDIGÈNES"
LA COUVERTURE DU MOIS: Ces deux danseuses d'ahouache ont été photo-graphiées par Jean-Philippe Charbonnier au cours de la fête donnée par le caïd de Skoura en l'honneur du lieutenant qui commande l'annexe d'A.I. Exception-nellement, car elle se déroule d'habitude à la lueur des torches, cette ahouache avait lieu de jour. Les deux danseuses, du plus pur type berbère, sont des paysannes qui arborent pour la circonstance toutes leurs parures: colliers en verroterie, coiffure faite de pièces et d'anneaux d'argent massif (certaines pèsent jusqu'à 3 kilos).
Elles ont soigneu-sement tressé leurs nattes et agrémenté les tatouages en noir qu'elles portent toutes sur le visage d'un maquillage au henné (les traînées rouges). L'ahouache est dansée par toutes les tribus de la région de Ouarzazate. Hommes et femmes sont divisés en deux choeurs. Le chant, scandé par les tambourins, est improvisé par des solistes pour célébrer les vertus d'un personnage important, le maître ou son hôte, ou un grand événement. Les choeurs reprennent le leitmotiv. Les hommes sont assis au centre, tandis que les femmes claquant des mains et s'élevant sur la pointe des pieds, tournent imperceptiblement autour d'eux dans une ondulation qui les soude épaule contre épaule.
Une fête dans la cour de la Casbah du Caïd. L'Officier des Affaires indigènes, SIDI EL HAKEM, est présent à toutes les fêtes locales.
LE PLUS BEAU MÉTIER D'HOMME: Ils sont cinq cent cinquante et ce n'est pas beaucoup. Cinquante d'entre eux baroudent en Indochine avec leurs goums. Cinq cent autres , coiffés du képi bleu ciel, la badine sous le bras, restent au Maroc ou bien ils partent à cheval, suivis d'un mokhazni en djellaba marron rayée de noir, reconnaître une piste à créer à travers la montagne. Sur leurs passages les Arabes enveloppés dans leurs caftans, les Berbères, turban enroulé sur le crâne, les gamins crasseux et les petites filles timides font gravement le salut militaire. Ou bien ils circulent pour surveiller des travaux d'irrigation à travers le bled désertique, dans des jeeps qui ont fait la guerre en leur temps, et ne tiennent ensemble que par un principe qui ne doit rien à l'attraction des molécules: la force de l'habitude.
Ils sont cinq cents en somme à régner, gouvernant le Sud marocain sans troupes et presque sans armes, par la force de leur présence, par leur activité, par leur esprit d'initiative et l'amour qu'ils ont pour l'indigène. Ces cinq cents officiers des affaires indigènes " Les A.I. " font, en seigneurs, un des derniers beaux métiers du monde. En fait ils font la passerelle entre deux cultures: ils facilitent aux indigènes l'accès aux techniques et aux pratiques de l'Occident tout en gardant la culture du pays.
Le blog Mangin@Marrakech ne reproduira pas la totalité du dossier de Réalités sur les A.I., mais retiendra ce qui permet de mieux comprendre qui étaient les Officiers des Affaires Indigènes au Maroc, quelle était leur formation, quel était leur métier.
Ces techniciens, nantis de notions de tout, vont être successivement diplomates, ingénieurs, financiers, légistes, administrateurs, animateurs agricoles, économistes, géomètres et toujours artistes (le respect de la chose belle, le respect d'un paysage existent en eux), mais vont devoir surtout posséder l'autorité d'un chef, l'allure d'un seigneur pour s'imposer, on les recrute au grand choix.
Ils ne furent ni ingénus, ni sots, ceux qui décidèrent de les sélectionner ainsi, dans les trois armes (trois officiers de Marine par exemple sont A.I.) dans tous les corps d'armée, de les éprouver à la pratique et, s'ils ne font pas l'affaire, de les reverser sans bruit dans la troupe. Première sélection importante, on ne prend que des volontaires. Une fois choisis pour leur qualités d'officiers, de préférence sortis d'une grande école et ayant déjà exercé un commandement, les officiers se trouvent hors cadre, détachés de leurs régiments. Ils ne dépendent plus de l'armée, mais de la direction de l'Intérieur à Rabat et, par le truchement de la Résidence, du Quay d'Orsay.
Un premier stage pratique , comme adjoint dans le bled (le Maroc est en effet divisé en régions, puis en territoires, subdivisés eux-mêmes en cercles qui, à leur tour se partagent en circonscriptions dont dépendent des annexes. Vient enfin le poste. Suivant l'importance de ces divisions administratives, on y trouve un ou plusieurs officiers) . Une fois terminé, ce stage qui a déjà permis de les jauger, les futurs A.I. reviennent à Rabat. Pendant neuf mois ils vont y assister à des cours dont la partie théorique s'augmente de travaux pratiques, voyages d'études ou travaux de synthèse.
Ils vont apprendre l'arabe, le berbère, le droit musulman et coutumier, le droit français, la géographie du Maroc et l'histoire de l'Islam, les caractères de la propriété indigène, régimes des transmissions, donations, successions, biens guich, habous ou makhzen, s'initier à l'économie politique, à l'agriculture, aux travaux publics, à la construction, à la mécanique, et aussi recueillir un enseignement sous forme de conférences des anciens qui tentent de leur transmettre une science intransmissible: leur expérience.
Après quoi ils partent en poste, pour de bon cette fois.
L'exemple choisi par Pierre Gosset, le journaliste de Réalités, est celui du poste de Skoura à 40km à l'Est de Ouarzazate où opère le capitaine Mercier, officier A.I. Jean-Philippe Charbonnier le photographie partout où il se déplace. Une partie de son travail se passe au bureau du poste.
Le capitaine Mercier - entouré (de gauche à droite) de l'interprète marocain, du lieutenant adjoint et du trésorier civil, commence souvent sa journée par une séance de travail administratif. Il établit par exemple son budget, s'enquiert des questions de droit, prend l'initiative de travaux publics sur sa zone. Il est aussi responsable de la sécurité de son "annexe". Toutes ses décisions sont prises en accord avec le caïd de Skoura.
La visite médicale se déroule ici en présence du lieutenant, adjoint du capitaine Mercier. L'emploi de la main-d'oeuvre indigène dans les mines est placé sous la surveillance de l'officier des A.I. qui a des prérogatives du même type qu'un inspecteur du travail. Le cas échéant, c'est à lui que les travailleurs adresseront leurs doléances.
L'instruction n'est pas obligatoire pour les petits Marocains. La fréquentation de l'école surlaquelle veille l'adjoint du capitaine Mercier dépend en grande partie de son implication. Il y a une vingtaine d'élèves à Skoura. L'établissement de l'impôt que le capitaine Mercier perçoit par l'entremise du caïd est une de ses tâches. Bien qu'il soit secondé par un trésorier civil, sa femme l'aide fréquemment à transcrire les écritures.
Une fonction de contrôle dans les tribunaux berbères de Skoura est exercée par le capitaine Mercier. Le caïd juge seul au pénal, mais peut être assisté de ses différents chioukhs (chefs de fraction de tribu). L'adjoint du capitaine (à droite) se tient à la gauche du caïd, en qualité de commissaire. En matière civile et commerciale, ce n'est pas le caïd mais le tribunal coutumier, qui est compétent.
En jeep ou à cheval, accompagné de son interprête. Il n'est pas de jour où le capitaine Mercier ne parcourt une partie du territoire qu'il contrôle, et qui couvre quelque 4800 kilometres carrés, pour rester en contact avec les indigènes. La photo montre la palmeraie de Skoura et la piste traversée par l'oued. Un radier permet à la jeep de franchir l'obstacle.
Pour assurer la police de son annexe le capitaine Mercier ne dispose que d'une dizaine de mokhaznis.
Ce sont des auxilliaires, pour la plupart recrutés sur place et affectés aux officiers. Ils remplissent les fonctions de gendarmes, de garde champêtres, d'huissiers, de domestiques.
Ce "Mokhazni" est l'un des gendarmes qui assurent la police de l'annexe de Skoura.
Les travaux d'irrigation conçus par le capitaine Mercier, permettent aux fellahs de son annexe d'exploiter de nouvelles terres et d'éviter une famine toujours menaçante.
Le capitaine Mercier présente les travaux au commandant venu de Ouarzazate et à un ingénieur du Génie rural.
C'est dans un site magnifique, au pied de l'Atlas, dont les chaines se dessinent au lointain, qu'est située l'annexe de Skoura, dépendant du territoire de Ouarzazate. L'annexe compte quelque 65000 habitants, tous sont berbères, sauf 1333 israélites.
La main d'oeuvre est abondante au Maroc. Pour construire la nouvelle école de Skoura, ci-dessus, le capitaine Mercier a recruté ses ouvriers sur place. L'entretien des routes est assuré par les contribuables qui s'acquittent de certains impôts par plusieurs jours de travail.
En rendant visite au Caïd, le capitaine Mercier agit comme délégué de la Résidence auprès du magistrat indigène représentant du pouvoir chérifien. C'est chez le caïd qu'il assiste aux trois grandes fêtes musulmanes: l'Aïd Seghir, l'Aïd Kebir et le Mouloud.
Enfin un moment de détente. Le capitaine Mercier prend le café dans son jardin avec sa femme. La maison comprend deux chambres, une salle de bains, un salon-salle à manger, un bureau, une cuisine et une grande véranda. La partie de tennis qui oppose le capitaine Mercier à son adjoint se livre le soir avant le dîner au pied de l'ancienne tour de guet de Skoura.
Le dîner est servi par des mokhaznis vétus de blanc pour la circonstance. Les enfants du capitaine Mercier vivent pendant toute l'année avec leurs parents à Skoura. Malgré les grandes chaleurs de l'été, l'ardente sécheresse de l'air et la fraîcheur des nuits leur permettent de supporter le climat du pays.
Les affaires indigènes de SKOURA dépendent de MARRAKECH
Le général d'Hauteville qui commande la région de Marrakech a fait toute sa carrière dans les Affaires Indigènes. Le journaliste Pierre Gosset de Réalités précise: "Il est au Glaoui, ce que le résident général est au Sultan".
Le blog Mangin@Marrakech présente en ce début d'année 2021 les officiers des affaires indigènes tels que la revue Réalités les présentaient en 1951; il y a 70 ans. C'est l'occasion de faire mémoire de ces hommes qui ont aimé les marocains en mettant tout en oeuvre pour améliorer leur condition.
Le roi Hassan II interviewé par le journaliste Jean Daniel du Nouvel Observateur ne disait-il pas dans ses derniers jours ?:"..je vais encore vous surprendre, j’en arrive dans ces moments-là, tenez-vous bien, à regretter ces contrôleurs civils et ces officiers des Affaires indigènes, qui sous le régime honni de la colonisation, n’en avaient pas moins une connaissance intime de l’âme marocaine..."
Nous invitons ceux qui ont connu des officiers A. I. dans la grande région de Marrakech à nous parler d'eux dans les commentaires. Nous publierons aussi les photos et les documents que certains d'entre vous détiennent et qu ils souhaiteraient partager sur le blog.