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MANGIN@MARRAKECH
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9 juin 2021

PREMIERS QUARTIERS ET PREMIÈRES RUES DE MARRAKECH

Savine-Dans-les-fers-du-moghreb-1911

D'après le livre d'Albert SAVINE, 'DANS LES FERS DU MOGHREB', Récits de chrétiens esclaves au Maroc (XVIIe et XVIIIe siècles) annotés d'après les documents d'Archives et les Mémoires'

Ce livre a été publié par la Société des Éditions Louis MICHAUD, 168 Boulevard Saint-Germain, Paris Edition de 1912.

Notre ami Joseph DADIA nous propose la lecture de deux passages de cette oeuvre. Il les a sélectionné, page 13 et page 20, en fonction de ce qu'ils révèlent du plan des rues et des quartiers de Marrakech, notamment ceux qui situent l'habitat des juifs et celui des chrétiens dans une capitale musulmane à l'époque où la Ville rouge avait pour nom 'MARROC'. Ces passages montrent aussi ce qui distinguait et ce qui rapprochait les communautés aux yeux des marocains. Merci à Joseph DADIA de nous avoir révélé ce livre.

 La Barbarie a servi d’asile aux Juifs chassés d’Espagne. Les Maures les ont reçus à des conditions très onéreuses et, outre le mépris souverain qu’ils ont pour leur personne, ils ne leur permettent pas d’habiter dans l’enceinte de leurs murailles. A cet effet, les Maures leur ont permis de bâtir une bourgade à côté de leur ville, plus ou moins grande suivant le nombre de leurs familles. Les Maures ont coutume de dire que les Juifs sont des keffers et les Chrétiens aussi, - keffer signifie infidèle -  de sorte que keffers et keffers peuvent bien être logés ensemble et dans les mêmes enclos, avec  cette différence que les Chrétiens peuvent choisir les maisons les plus belles pour y loger. La raison de cette préférence, disent-ils, est que les Chrétiens  sont libres, ont un roi, font la guerre et la paix, possèdent un pays, au lieu que les Juifs dispersés, sans pays, sans roi, ni sans aucun gouvernement particulier, sont une preuve visible de la punition dont l’Etre suprême, justement irrité contre eux, leur fait sentir le poids.

Les esclaves chrétiens sont logés avec  les Juifs, et la rue destinée à cet effet est appelée Amit  ou quartier des Chrétiens. Les esclaves chrétiens qui y sont déjà logés nous reçoivent avec tendresse et compassion. Chaque nation est contenue dans un quartier particulier de ladite rue et l’empereur comme un chef maure qui a droit sur tous les esclaves des différentes nations. […]

Les renégats ont un quartier séparé  des Maures, des Chrétiens  et des Juifs.

Le gouvernement des Juifs est absolument le même que celui des Maures, et les uns comme les autres sont obligés de payer les taxes que le roi juge à propos de leur imposer.

Je n'ai aucun commentaire à faire, sinon qu'il s'agit de pages rares écrites sur Marrakech et ses rues. 

Fait à Kervenic-en-Pluvigner, 9 mai 2021

 Joseph DADIA.

Merci à Joseph DADIA de nous avoir fait découvrir ce livre qui nous parle de Marrakech, de ses quartiers, de ses rues et de ses habitants des principales religions monothéistes. Il nous donne aussi l'occasion de publier des témoignages d'époque qu'Albert Savine a probablement consultés.

Notes : La 'Barbarie' est le nom donné à cette époque au Royaume du Maroc par les européens, il a son origine dans "berbérie". Les berbères y vivaient bien avant les Arabes. Certains l'appellent à l'époque "Mauritanie",  ce qui ne correspond pas à la Mauritanie d'aujourd'hui. Maure désignait les habitants de l'Afrique du Nord.  'Keffer' est un nom donné aux non-musulmans et même aux musulmans dont la théologie est jugée déviante. 'Amit' pour un nom de rue n'a pas d'origine arabe, il existe un prénom juif Amit עמית‎ mais c'est possiblement aussi une origine latine, les chrétiens de différentes nationalités s'appelant "amit" entre eux ( ami, amico, amigo).

orfevres-juifs-9

Les juifs expulsés d'Espagne par Isabelle la catholique ont émigré au Maroc et dans d'autres pays en 1492. Il y avait déja des juifs au Maroc, les 'Beldiyyin', principalement des orfèvres qui vivaient dans le quartier du Mouassine qu'ils partageaient avec les Arabes et les Berbères musulmans.

Echoppe d'orfèvres juifs. Photo R.Moreau.

Les nouveaux arrivants d'Espagne, les juifs 'Mégorashim', vinrent les rejoindre, la plupart dans ce même quartier. Le sultan qui régnait en 1557, Moulay Abdallah Al Ghalib Billah, décida pour les protéger de les regrouper plus près de son palais dans un quartier entourré de hauts murs et accessible par une seule porte fermée la nuit: ce quartier pris plus tard le nom de Mellah. 

Lettres de visiteurs de Marrakech au début du XVIIe siècle

Nous ajoutons deux extraits de lettres de témoins, l'une rédigée en 1606 par Jean Mocquet, un apoticaire français en voyage d'études entre Safi et Marrakech au service du Roi de France, Henri IV; l'autre écrite vers 1665 par Thomas Le Gendre, un commerçant de Rouen, pratiquant l'import-export. Il connaissait Marrakech dès 1617 et jusqu'à 1625; il obtint ensuite des renseignements par son frère présent de 1631 à 1633, puis par d'autres personnes de leur entreprise.

Pont-du-Tensift-Photo-Greber-1912

L’arrivée en vue de Marrakech de Jean MOCQUET le 1er septembre 1606.

L’accueil par un groupe de prisonniers 'les fers aux pieds' et les conséquences de l'évasion d'un renégat.

Le Pont du Tensift construit à la fin du XIIe siècle; Photo P.Grébert, 1912.

" Le fleuve Tensift porte les plus excellentes truites du monde, étant petites et fort rouges de chair, mais d’un très bon goût, et sont fort estimées à Marroc (Marrakech). 

" Le lendemain matin ayant cheminé un peu nous découvrîmes la ville de Marroc en une grande campagne, & semble que cette ville soit proche du mont Atlas, encore qu'elle en soit à plus de sept lieues. (une lieue équivaut à 5km environ)

" Nous trouvâmes sur nôtre chemin quelques Chrétiens qui venaient au devant de nous. Ce sont des gens qui trafiquent là. Quand ils entendent que quelques autres Chrétiens viennent avec la Cafile (caravane indigène), ils sont bien aise de les venir reconnaître en chemin ; et ceux-ci amenèrent avec eux un petit mulet chargé de vivres. (vendeurs attendant les voyageurs des caravanes)
Or la plus part des Chrétiens de cette Cafile étaient Anglais, prisonniers, les fers aux pieds , et avaient été arrêtés à Safi, à cause d'un Al-caïd nommé Abd el Acinthe, qui était Portugais de nation, mais Renégat ; et pour ses capacités et sa valeur on lui avait confié le commandement sur la Cafile qui retourne de la ville de Marroc à Safi, avec environ 500 soldats sous sa charge. 

" Or il arriva d'aventure qu’Antoine de Sardaigne et Pierre Cézar gentilshommes Portugais avaient été pris à Tanger en Afrique & menés à Marroc, & y ayant été détenus captifs treize ou quatorze ans jusqu’à ce qu'ils furent rachetés par le moyen du sieur Arnault de L’Isle médecin, établi à Marroc comme agent pour représenter le Roy Henry le Grand (Henri IV). Comme ces deux Portugais s’en retournaient en liberté cet Al-caïd Abd el Acinthe avait négocié avec eux de se sauver dans leur même vaisseau où ils devaient s’embarquer. Pour ce faire il alla poser son Al-mahalle vers le lieu où on va prendre de l’eau pour les navires près du Cap de Cantin; et  étant là une nuit, il dit à ses gens qu'il avait fait venir une Moresque , avec laquelle il désirait aller parler en secret assez loin du camp, & ne mena avec lui qu’un sien esclave. Quand il fut près de la marine, ii fit feu avec un fusil qui était le signal qu’il avait donné à ceux du navire. Aussitôt qu'on vit Ie feu, voici les gens du bateau qui étaient cachés dans des broussailles, qui vinrent se saisir de sa personne, l’enlevèгеnt et le portèrent en leur vaisseau , dans lequel il se sauva: l’esclave s’enfuit à ГАl-mаhаllе pour conter la prise de son maître, dont chacun fut bien étonné, et se retirèrent tous à Safi. Mais comme les gens d’un bateau Anglais en ce même temps furent venus à terre pour charger plusieurs marchandises dont ils avaient besoin, ils furent arrêtés, & on leur mit les fers aux pieds, comme je les vis dans le château de Safi en fort pauvre équipage.  Ils furent depuis menés à la ville de Marroc, où les marchands payèrent pour eux je ne sais combien d'onces d’or, qui était la rançon à peu près de l’Al-caïd Abd al Acinte qui s’était sauvé. Car ces Rois là ne veulent rien perdre, étant la coutume à Marroc que si un esclave s’enfuit, tous les autres ensemble le payent, se cautionnant tous les uns les autres pour aller libres par la ville sans fers aux pieds; ce qui s'entend des pauvres : car pour les riches ils sont mis en la Sisaine (Segena), qui est la grande prison du Roy, ou ils sont bien gardés comme l’étaient les deux gentilshommes Portugais. "

Note: Les renégats logeaient dans un quartier séparé à Marroc. Il s'agissait de mercenaires d'origine chrétienne qui pour accéder à des fonctions administratives ou militaires plus élevées et réservées aux musulmans se convertissaient à l'Islam.

La première nuit de Jean Mocquet dans la maison des chrétiens et la visite aux Toubibs du roi-sultan, le Sieur Arnault de l’Isle qui habitait dans le quartier du Mellah et son jeune confrère le sieur Etienne Hubert.

" Pour revenir aux Chrétiens de Marroc qui vinrent au devant de nous, ils nous firent fort bonne chère dans un jardin le long d’une eau courante, à deux ou trois lieues (4 à 6 km) de la ville de Marroc. L’al-mahalle n’entra point pour ce jour à Marroc, mais je la laissai où elle était posée, & je fus coucher dans la ville en la maison des Chrétiens, payant mon entrée au Talbe ou greffier. Ce fut le 2 de septembre 1606. Je ne manquai pas, si tôl que je fus arrivé, d’aller visiter le sieur Arnault de L’Isle, médecin, qui était logé en un beau logis en la Juderie ou Juiverie. 

Le sieur Arnault de L’Isle était depuis longtemps auprès de la personne du roi de Marroc en qualité d’agent pour nôtre roi Henry le Grand (Henri IV), et  y avait été en plus envoyé le sieur Etienne Hubert, médecin du Roy, pour relever le sieur de L’Isle, puis tous deux étaient revenus en France; mais depuis ledit sieur de L’Isle y était retourné. 

Etienne-Hubert-épitaphe-1614 2

Le sieur Etienne Hubert demeura environ un an à Marroc, exerçant la médecine auprès du Roy, & là, suivant son principal dessein, qui l’avait porté à faire ce voyage, il apprit si bien la langue arabique, qu’il s’y rendit depuis fort savant, comme il en a fait de son vivant profession publique & royale à Paris avec grande célébrité. Il se contenta de sortir de ces pays plus chargé de science & de livres arabiques que de richesses & autres commodités, lesquelles le sieur de L’Isle fut plus heureux que lui. 

" Étant donc allé en la Juderie, j’y fus conduit par un Juif qui m’allégea de quelques réais, me donnant à entendre faussement qu’il fallait payer quelque droit à la porte de ce lieu où nous avions à entrer, & de fait il attira quelques-uns qui me vinrent quémander & il les fallut contenter. 

Cette Juderie est à plus d’une grande lieue de la douane où logent les Chrétiens, et proche du palais du Roi, & elle est comme une ville à part, entourée de bonnes murailles & n’ayant qu’une porte gardée par les Mores - cela peut être grand comme la ville de Meaux ( Jean Mocquet était natif de Meaux)

Là demeurent les Juifs au nombre de plus de 4000 & payent tribut. Il y a aussi quelques Chrétiens & là demeurent aussi les agents & ambassadeurs des princes étrangers. Pour le gros des Chrétiens, trafiquants & autres, ils demeurent à la douane. "

 Notes: On remarque que les chrétiens logent en deux quartiers distincts: ceux qui sont libres et dont l'activité principale est le commerce logent à la douane dans la maison des chrétiens, probablement située vers le souk de Bab el Khemis. Les ambassadeurs et autres représentants d'une altesse étrangère  habitent la Juiverie qui n'est pas encore appelée  'Mellah'. Arnault de l'Isle loge dans une belle maison parce qu'il est le médecin du Roi de Marroc. Pour les différentes sortes de prisonniers il existe plusieurs prisons distinctes. 

Arnault de LISLE fut le premier titulaire de la chaire d'Arabe au Collège de France en 1587 et fut nommé après l'obtention de son doctorat de médecine.

Du temps d'Henri IV la France était très bien considérée à Marroc, grâce à ses médecins et l'honnêteté de ses commerçants; cependant le parti des Guise qui intriguait avec l'Espagne de Philippe II avait créé la Sainte Ligue catholique et nommé un faux Consul de France, du nom de Castellane, lequel profita de la réputation d'Arnault de l'Isle pour endormir la confiance du Roi Moulay Zidane en prétendant qu'il allait mettre les 4000 magnifiques livres de sa bibliothèque en sûreté. Comme il ne les lui rendait pas, Moulay Zidane fit mettre en prison tous les français présents au Maroc comme monnaie d'échange. C'était l'Espagne qui avait récupéré tous les livres et ne les rendit pas. La France supplantée par l'Espagne, l'Angleterre, et la Hollande recommença modestement à traiter avec le Maroc à partir de 1631.

Thomas Legendre décrit Marrakech en 1625: les rues, les maisons, le palais, les jardins.

La ville de Marroc est fort grande, & beaucoup plus que ce qu’on appelle à Paris la ville (les onze premiers arrondissements), étant fort peuplée, comme de trois à quatre cent mille habitants de toutes sortes de religions & il y a des rues où, pour la multitude grande du peuple, on ne peut quasi passer. La plupart des maisons ordinaires y sont basses, petites & mal bâties, de terre & de chaux; mais les maisons des al-caïds, seigneurs & gens de qualité sont grandes & hautes, bâties de pierre, environnées de murailles, avec une tour haute au milieu pour aller prendre le frais, & il y a de nombreuses petites fenêtres & lucarnes; le dessus des maisons est plat.

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Le palais du Roy est bâti de petites pierres (zelliges), comme pièces rapportées, & il y a de nombreuses colonnes de marbre, fontaines & autres ornements. Leurs mosquées en grand nombre, sont bien bâties de marbre & couvertes en dôme avec du plomb. Dans les places il y a de grandes halles ou voûtes où se tiennent les marchands, entre autres ceux qui vendent les al-ebec ou vêtements, comme fruitiers. Il y a aussi quelques collèges pour instruire en leur loi. 

Un passage bordé de colonnes dans le Palais du Sultan. Photo Félix, 1913.

Il n’y a point de rivière qui passe par la ville de Marroc, mais de nombreux fossés & canaux en terre (seguias) pour conduire les eaux qui viennent en abondance des montagnes d’Atlas, partie de sources, partie de neiges fondues; & font dériver ces eaux ça & là pour leurs jardins & fontaines. Ils ont aussi des puits & citernes. Ils se servent du drainement de ces eaux pour arroser leurs terres & jardins. Hors la ville, aux environs,  par la campagne, y a grand nombre de jardins & vergers et toutes sortes de fruits & vignes, avec des eaux, & une petite habitation pour s’aller récréer ; ils tiennent là quelques esclaves à travailler. Toute la terre y est bonne & fertile, & ne la faut quasi que gratter & la semence fructifie incontinent. Les montagnes sont de tous côtés de la ville, sinon du côté que l’on vient de Safi qui est plat. Il y a les monts de Draa vers le désert, d’où viennent les bonnes dattes. Il n’y a point d’arbres en la campagne, sinon quelques palmiers. Tous les arbres sont dans les jardins, qui sont comme nos vergers.

Thomas Le Gendre parle des religions à Marrakech et de certains aspects de leurs cultures respectives vers 1625-1660.

Toutes les religions sont permises en la ville de Marroc ; les Juifs ont une Juderie fermée d’un mur d’enceinte à Marroc, assez grande, & il y a deux synagogues, & de mon temps y vivaient quatre ou cinq cents personnes juives dans cette Juderie. A Safi, il n'y a point de Juderie qui ferme pendant la nuit, mais il y a pourtant une synagogue. Les Mahometans permettant par tous leurs pays le libre exercice de religion, quelle qu'elle soit.

Les Juifs s'entremettent fort dans le commerce & dans les fermages, prenant ordinairement à ferme ou à rente les droits du roi des entrées & sorties, à cause de quoi on appelle ceux-là rentiers; & ainsi il faut en effet souvent passer par leurs mains. 

Les Juifs ne possèdent aucune terre en propre, mais ils ont quelques jardinages & vignes dans leur Juderie, & font quelque vin de raisin, mais très peu, & pas assez pour leur provision ; en sorte qu'ils ont, comme les Chrétiens qui arrivent en ce pays-là, recours au vin-de-passe. On appelle passe le raisin séché au soleil, duquel on met environ deux cent pesant dans une barrique qu'on emplit d'eau, & puis on le laisse bouillir de soi-même, & au bout de cinq ou six jours que cette eau & ce raisin ont bouilli ensemble, on le tire par la chante-pleure & c'est du vin blanc & trouble, & quoi que fait d'eau, il ne laisse d'être très fort & d'enivrer ceux qui en prennent trop. C'est donc de ce vin-de-passe que nous buvions ordinairement. 

Les Mores même n'ont pas de possessions ni de jardinages au delà de la portée du mousquet des murailles de leurs villes, parce qu'ils n'en jouiraient pas, les ‘Alarbes’ déroberaient tout de nuit ; ce qui est cause que ces gens-là ne cultivent point, & ne se servent point de la bonté de leur pays. Les ‘Alarbes’ même cultivent peu, à cause qu'ils sont nomades sur la moindre guerre qu'on leur veut faire. Ils sont seulement curieux, aux environs de leurs douars, de faire des blés & des orges dont ils emplissent leurs ‘ matamores ‘; ce sont des puits sans eau, très profonds, qu'ils emplissent de grain, jusques à fleur de terre, & y font dessus quelques marques pour retrouver ces magasins profonds, notamment quand ils sont contraints de se retirer en quelque autre contrée. 

Les Mores ne font point de vin & se contentent de manger leur raisin, soit mur, soit sec; mais les Mores les moins religieux à la dérobée, boivent du vin & de l'eau-de-vie, chez les esclaves chrétiens qui en vendent & chez les Juifs. Mais pour ce qui est des boissons de café, de thé & de ‘ cha ‘, on ne sait ce que c'est en ce pays-là. Ce sont des boissons qui sont en usage aux Indes & au Levant, & dont l'usage est venu aussi en ce pays-ci, & surtout en Angleterre, où ce café a beaucoup de débit, parce qu'il a la vertu d'empêcher de dormir ; en sorte que, quand une personne veut passer la nuit à travailler, il n'a qu'à prendre un doigt de ce café, cela lui ôte l'envie de dormir; & quant au thé & au ‘cha’, on dit qu'ils débrouillent la tête & délassent l'esprit, quand on a beaucoup étudié.   

Note: "Toutes les religions sont permises", ce qui peut surprendre un européen du XVIIe siècle où les religions autres que celle du roi sont persécutées. Il y a deux synagogues, probablement l'une concerne les familles juives établies à Maroc avant 1492: les Beldiyyin et l'autre synagogue a été construite par les juifs dont les familles ont été expulsées d'Espagne par Isabelle la catholique: les Megorashim. Ils n'avaient pas tout à fait les mêmes rites, ce qui justifiait les deux synagogues. 

Thomas Le Gendre localise les habitations des juifs et des chrétiens dans la ville de Marrakech, ainsi que les palais et les prisons.

"La Ville de Marroc: est pour le moins aussi grande que Paris, n'y comprenant point les faubourgs; mais elle est fort vaste y ayant beaucoup d’espaces vides. Elle est située en une plaine à sept ou huit lieues en deçà des montagnes qu'on appelle l'Atlas, desquelles, quand on est dans Maroc, on croit être fort proche, parce qu'elles se voient aisément, & leurs cîmes sont couvertes de neige en quelque saison que ce soit . De ces montagnes descendent plusieurs petites rivières de belle & bonne eau, qui viennent premièrement arroser un jardin qu'on appelle le petit Meserra, & y font un grand étang parfaitement beau, qui a bien mille pas en carré. Cette eau passe après dans un grandissime jardin, qu'on appelle ‘El-Meserra’ lequel est plein de rangées d'orangers, de citronniers, palmiers ou dattiers, oliviers, amandiers, figuiers & grenadiers, entremêlés d'arbrisseaux de jasmin & autres fleurs odoriférantes. 

Palatium-REGIS-MAROC-1640

Gravure hollandaise d'Adrian Matham représentant la ville de Marrakech en 1640. On remarquera à gauche en "G" les vergers de l'Agdal; en "H" les synagogues dans la Juderie; en "I" La Montagne de l'Atlas; en "L" la porte des juifs; au centre le Palais, le Harem, la Koutoubia, les tombeaux des rois, ... 

"De ces deux jardins qui sont publics & communs, cette eau passe dans la belle maison du Roy, laquelle on appelle El Bedeh, où l'on dit (car je n'y suis pas entré) qu'elle fait quatre étangs, au bas desquels il y a quatre jardins, dont le haut des arbres vient à fleur & à l'un des étangs ; en sorte que les jardins sont en bas & les étangs en haut, & fort bien compassés, y ayant un jardin entre deux étangs, & un étang entre deux jardins. Les rois de Marroc donnent ordinairement leurs audiences sous le grand portail de cette maison ; & ainsi, c'est « aller à la Porte », aussi bien qu'à Constantinople. Mais quelquefois il y a eu des rois, lesquels, après avoir lait retirer les femmes dans un sérail, par le soin de la dame leur gouvernante, qui s'appelle ‘Larissa Ramena', ont donné audience dans leur maison à quelques ambassadeurs, mais bien rarement ; & ils ont donné cette audience dans une longue salle voutée, dont la voûte & les parois sont de fin or, à l'épaisseur d'un ducat, outre laquelle il y a encore tout plein de beaux corps de logis, à ce que nous contaient les eunuques, gardiens de cette maison, & les femmes juives qui y entraient pour porter des  provisions. 

Plan-MRK-median-1868

Joignant cette maison, il y en a encore une autre qu'on appelle le Michouar, où demeurent les ‘el-chef’ ou renégats qui accompagnent le Roi quand il sort.

Plan du Mellah et de son environnement par Beaumier.

Il y a aussi une autre maison qu'on appelle ‘Dar lachor’, c'est-à-dire: maison de la dîme; c'est une maison où les marchands chrétiens étaient obligés de faire porter toutes leurs marchandises arrivantes ; & puis 'l’Amin es Sultan', ou Trésorier du Roi, allait prendre le droit ‘el-hallal’, c'est-à-dire ce qui est licite, de dix ballots égaux un, & ainsi du reste. Il y a encore d'autres maisons jointes où demeurent les al-caïds, eunuques & autres officiers, & même un jardin commun, dans lequel il y a une fosse à lions ; & tout cela dans un grand enclos de murailles, lequel enclos on appelle ‘Al caseba ‘- c'est comme à Paris le Louvre. 

"Joignant cet enclos, il y a une grande mosquée longue de cent pas, & sur cette mosquée une tour carrée, de laquelle sort par haut une grosse tige de fer, dans laquelle sont passées trois pommes d'or, la première fort grosse, celle de dessus moindre, & celle de dessus encore moindre. Lesquelles pommes d'or, notamment la plus grosse, qui est celle de dessous, sont bossues de plusieurs coups de mousquet qu'on leur a tirés, & même en plusieurs endroits percées à jour ; car elles ne sont pas massives, mais seulement de l'épaisseur du doigt. De quoi m'étant étonné & ayant demandé à de vieux Mores d'où venaient ces coups de mousquet, me firent réponse que c'était les soldats de Yacob el-Mansor (Moulay Abdallah bou ech-Cheikh), lorsqu'ils prirent la ville, qui les avaient ainsi canardées. Mais ayant répliqué : « D'où vient qu'ils ne les ont pas enlevées ? « O qu'ils n'avaient garde de le faire ! me repartit-on, car elles sont sacrées.»

"Au bout de cette mosquée, il y a une salle en forme de chapelle, qui est la sépulture des rois de Marroc, où les Chrétiens entraient librement accompagnés du concierge, où j'ai vu plusieurs monuments élevés de deux ou trois pieds seulement & cette salle est en voûte, & la voute et les parois concavées à la mosaïque, & ces fossés ou concavités dorées de fin or à l'épaisseur d'un ducat.

A cinq cents pas de ce lieu, il y a un grand enclos de hautes murailles, aussi grand que Magny, lequel enclos est la Juderie, les Juifs y étant en assez bon nombre, avec synagogue & bien logés, & cette Juderie n'a qu'une porte qui ferme le soir & ouvre le matin par le soin de celui qui en a la charge. À cinquante pas de la Juderie, il y a une grande maison, ou pour mieux dire, prison, qu'on appelle ‘Segena’ qui est la maison des pauvres captifs chrétiens, d'où on les sort le matin pour aller au travail, & où on les renferme le soir. 

A mille pas delà, il y a un grand enclos de maisons, qu'on appelle la Douane ; c'est la demeure des marchands chrétiens, en laquelle chaque nation avait son appartement, quand il y en avait, & celte maison était aussi sujette à être fermée le soir & ouverte le matin par le soin du portier commis pour cette tâche.

Proche de là, est un grand enclos où est la prison des Mores ; & proche de là, plusieurs petites prisons où on mettait les marchands chrétiens & juifs, quand ils l'avaient mérité. 

Dans toute cette grande ville, il n'y a pourtant que deux juges, 

Les Mores sont fort jaloux, ne s'imaginant pas qu'il puisse y avoir une femme de bien, à cause de quoi ils ne vont point dans les maisons les uns des autres que le maître de la maison n'y soit et qu'il n'aie fait retirer ses femmes. 

Nous avons laissé les eaux des montagnes dans la maison du Roi appelée ‘Bedih’ ; de là ces eaux viennent arroser & fournir la ville en plusieurs endroits, puis sortent entre les deux portes appelées el Khemis & Doukalla, là où elles se rejoignent & font une rivière, mais guéable, qui s'en va du côté d'occident chercher la mer entre Mogador & Safi ; et cette rivière-là s'appelle Tensift. 

Moulay Zidane arbitre entre Catholiques et Protestants

Savine-Moghreb-image

" Avant que nous sortions de Marroc, il n'y a pas de mal de faire récit de quelques actions de Moulay Zidane, qui en était roi lorsque j'étais en ce pays-là. 

Il y eut un jour de dimanche grande querelle dans la ‘Segena’ entre les esclaves français, parmi lesquels il y avait nombre de Provençaux et quelques Rochelais. Les uns faisaient leurs dévotions en un bout de la ‘Segena’, où ils avaient une chapelle, & même quelques prêtres aussi esclaves qui disaient, la messe ; &  les autres étaient à l'autre bout à faire leurs dévotions dans leurs chambrettes. Gravure tirée du livre d'Albert SAVINE et figurant les coups de batons sur les fesses.
Les Provençaux mutins étant venus troubler les Rochelais chauds & bouillants, ils se gourmèrent si bien, que l'al-caïd de la ‘Segena’ se trouva obligé d'en avertir Moulay Zidane, qui commanda qu'on lui amena deux de chaque côté, ce qui fut fait ; & aussitôt les marchands français y coururent, pour intercéder chacun pour son parti.

Mais après que le Roi eut entendu les parties, & qu'ils s’étaient querellés sur le fait de la religion, il leur fit bailler à chacun cinq cens coups de baston sur les fesses, et leur fit défense de se plus quereller, sur peine de la vie, voulant que chacun exerça sa religion, puisqu'il en donnait la permission. 

Note: Les Provençaux catholiques en nombre vont chercher les Rochelais protestants moins nombreux et les trouvent. Il ne semble pas que les prêtres catholiques soient intervenus pour apaiser le climat de la prison. On constate qu'il y avait des marchands catholiques et des marchands protestants à Marrakech du temps de Louis XIII qui défendent les prisonniers de leur confession. Thomas Le Gendre note que  le Sultan déjà à cette époque voulait que chacun exerça sa religion.

Thomas Le Gendre, parle de l'Islam à Marroc où dans leurs prières les musulmans invoquent plusieurs saints.

" Reste à dire quelque chose de la religion des Mores, & de leur méthode en leurs prières. Ils sont, comme chacun sait, mahométans, mais ils ont pour le moins une douzaine de saints qu'ils invoquent, à la tête desquels ils mettent Mohamet ; ainsi appellent-ils leur Prophète, & non Mahomet. 

Quand ils veulent faire leur ‘sala’, ou leurs prières, ils se lavent les pieds & les jambes jusques aux genoux, & les mains & les bras jusques aux coudes ; & puis il s'assoient à terre la face vers le soleil levant, un chapelet à la main ; après quoi ils invoquent leur Sidi Mohamet, en le priant de prier pour eux ; puis Sidi Bellabech (Sidi Bel Abbès), qu'ils disent être Saint Augustin & ainsi plusieurs autres ; & à chacun, ils se jettent contre terre, touchant la terre de leur front autant de fois qu'ils invoquent de saints, & durant le tour du chapelet. Ils mêlent même parmi leurs saints Notre Seigneur, sous le nom de Sidna Aissa , qu'ils avouent être un grand saint; & quand nous leur demandions de qui il était né, ils nous répondaient: « de Lalla Mariem, de la Vierge Marie » ; & quand nous leur demandions encore comment il avait été conçu au ventre de la Vierge, ils nous répondaient : « du souffle de Dieu » ; à quoi leur répliquant que, par le souffle de Dieu, il fallait entendre l'Esprit de Dieu, & que, par conséquent, Nôtre Seigneur étant né de la Vierge & conçu par le Saint Esprit, il était constant que Nôtre Seigneur était, avec le Père & le Saint Esprit, Dieu & un seul Dieu bénit éternellement ; mais c'est ce qu'ils ne pouvaient & ne voulaient comprendre, & nous rebutaient avec injures..."

Bibliothèque de France. — Imprimés, 03j 2. — Lettre escrite— par Monsieur **** (Thomas Le Gendre) Editée à Paris, par Gervais Clouzier, M.DC.LXX.  

Ces témoignages et cette gravure hollandaise d'Adrian Matham nous apprennent le Marrakech du début du XVIIe siècle, complétement contenu à l'intérieur des remparts de la Médina et ne comprenant pas encore le Guéliz et l'Hivernage. Chacun peut ajouter des commentaires.

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Commentaires
J
Bonjour à Tous<br /> <br /> Absence et fermeture ordi;pour cause de travaux pièce de mon bureau<br /> <br /> Restez bien au frais et à l'ombre<br /> <br /> A Bientot
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H
Et oui je suis déjà sur mon engin je deviens très paresseuse je ne fais plus rien il faut dire qu'hier j'avais l' aide à domicile alors pas bouger aujourd'hui bof la maison ne s'envolera pas ,je fais mon possible pour l'entretenir HIHIHI!!! voyez mon petit Ris Gaulois je réponds mais quelquefois ma petite cervelle part mais revient un peu oui il me semble qu'il y avait un garage il faut dire que nous sommes rentrés en France en 1958 ,et oui cela fait 63 ans mais nous avions voulu avec Sauveur que les enfants connaissent leur Pays natal en 1964 nous avons pu montrer aux enfants ou ils sont nés ils ont vu les villas de leurs Grands Parents qui n'étaient pas encore détruites ..et nous avions quelques amis on était tellement heureux de se revoir, de se faire des bisous que les enfants râlaient parce qu'on ne s'occupait pas d'eux ....de bons souvenirs qui sont restés en eux car un jour les trois ont parlé de ce voyage ..J'espère que tout va bien ,pas trop chaud , ,la fournaise à Mâcon mais je ne peux plus nager en Sâone comme il y à quelques années, je ne sais pas si je pourrais c'est ce que me disent les enfants l'air de se fiche de moi HIHIHIi Bon assez de bavardage l'heure tourne pour moi j'ai juste à chauffer . Merci mon petit Ris Gaulois j'adore vos écrits et je n'oublie pas mon Peter Pan GROS GROS BISOUS je vous souhaite à vous tous amis de mon coeur une très belle journée;;Huguette (la gazelle)
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H
coucou mon Ris Gaulois je viens pour couper mon engin je vois petit message je ne savais pas qu'il y avait rosé à l'Ourika si mon Papa avait su cela il n'aura jamais apporté du vin dans nôtre petite maisonnette.. le boulaouane j'en ai bu un tout petit peu car mon Papa surveillait nos copains je vous parle de ce temps de nos 17 ans ..; passez une bonne soirée avec vôtre petite famille et peut être à demain pour réponse ...GROS GROS BISOUS ''(;Huguette ''la gazelle)
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H
Pourquoi rosé ? moi je prendrais un bon Mâconnais rouge à moins que rosé vient de chez Monsieur VALLIER Hihihi...merci à vous trois je viens d'ouvrir l'ordinateur message de mon Ris gaulois un peu tristounet , heureusement que mon Peter Pan est là pour nous secouer , et le message de Bou Tazoult nous donne un peu d'air avec le vin et les variations des petites brochettes sur le canoun.... j'espère que tout va bien pour vous tous amis très chers , ..l'été est là donc profitons un peu de respirer et voir le ciel si bleu quelquefois un peu de nuages .profitez aussi des vacances ..GROS GROS BISOUS ..Huguette(la gazelle)
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B
Bien retombé sur tes pied, marrakchi ! La similitude entre Marrakech et Taroudant en matière de remparts est flagrante, ... après le reste est bien différent. Mais on y retrouve ces structures d'habitation très proches. Et la gastronomie n'est que variations de préparations culinaires. Les fumets sont aussi bons pour flatter le nez et attirer autour du canoun. Seule la boisson diffère de nos habitudes. J'opte pour le rosé.
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MANGIN@MARRAKECH
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