GENEVIEVE RACONTE LA FAMILLE ANDRÉ BESSON
CHKOUN ANA.. GENEVIÈVE BESSON
© Les récits Chkoun Ana nous ont conduit dans les souvenirs d'habitants de divers quartiers de Marrakech: la Médina, le Mellah, le Guéliz, la Base aerienne 707 et aussi le bled. Avec Geneviève nous faisons connaissance avec le djebel Atlas. Ces récits dont le titre est réservé ne peuvent être reproduits sans l'autorisation écrite de leurs auteurs.
ANDRÉ ET DOLORÈS BESSON ONT VÉCU À L'OUKAÏMEDEN ET MARRAKECH AVEC LEURS QUATRE ENFANTS: GENEVIEVE, PATRICK, ALEXANDRE ET NICOLE.
GENEVIÈVE BESSON PATAGE AVEC NOUS L'HISTOIRE DE SA JEUNESSE DANS LAQUELLE CELLE DE SES PARENTS PREND UNE GRANDE PLACE.
Mon père André BESSON (1922-2003) , Lieutenant de l’Armée Française , Moniteur national de ski et Guide de Haute-Montagne est muté au Maroc sur l’ordre du Capitaine Flotard comandant de l’Ecole de Haute Montagne de Chamonix, au Centre d’Instruction de Montagne (C.I.M. -Bordj Militaire ) de la station de ski de l’Oukaïmeden. Il embarque le 30 juin 1950 sur le paquebot KOUTOUBIA (a) à Marseille destination Casablanca. Il appartient donc aux Troupes du Maroc dont le Général DUVAl est le commandant en chef – et exerce la fonction de Moniteur chef sous les ordres du Capitaine SOTTY. Le Général d’HAUTEVILLE commandait à cette époque la Division de Marrakech.
(a) De la compagnie C.N.P. Paquet. Le Koutoubia était un ancien bateau de guerre renfloué qui faisait la ligne Marseille/Tanger/Casablanca dès 1931
Bien que les conditions de vie soient très précaires sur le haut plateau de l’Oukaimeden -2700m. d’altitude ( il n y a ni eau ni électricité )- il décide de faire venir sa famille au Maroc, sa femme et ses enfants lui manquaient trop.
Au mois de septembre 1950, ma mère Dolorès, moi-même (3 ans), Alexandre (2 ans) et Patrick (6 mois), munis d’une petite valise et de provisions, partons pour le Maroc par train ( ma mère avait horreur du bateau et l’avion était bien trop cher!) depuis Annecy - via Hendaye, traversant toute l’Espagne dans un train très mal entretenu et faisant escale à Madrid- Atocha où les gens miséreux suppliaient pour une obole ou réclamaient simplement du pain aux voyageurs. Enfin arrivés à Algésiras, ma mère affronte la traversée très agitée du détroit de Gibraltar, mauvais temps et houle, et évidemment tombe malade: heureusement qu’une dame s’occupe de Patrick; mais moi curieuse, je vais me promener sur le pont du bateau avec mon petit frère Alex... Ce jour là il y eut un Bon Dieu pour la famille Besson !
Mon père est très heureux de récupérer sa famille à Casablanca et nous continuons en train sur Marrakech. Ce voyage fut une première épreuve très dure pour ma mère. Il s’ensuivra d’autres …
BORJ MILITAIRE C.I.M Oukaimeden
Le Bordj était la première construction à l'entrée du plateau à droite. On distingue des Noualas sur la photo. Le mat des couleurs ( ici en berne) comportait un socle élevé à sa base en cas de forte épaisseur de neige. Le capitaine Maerten décédé accidentellement en 1954 fut le premier patron du CIM. A droite, l'insigne du CIM avec la silhouette de l'Anghour.
Au Borj C.I.M. mon père s’occupait de la formation des jeunes français qui faisaient leur service militaire et également des officiers de l’Armée Française : en hiver pratique du ski et en été école d’escalade : un des deux sites d'escalade se trouvait sur le chemin montant à Tachdirte et l’autre sur la droite en arrivant à l’Ouka. Il y avait aussi les randonnées au Toubkal (4.187m) et sur les sommets des environs. Mon père était très connu dans toutes les vallées du Haut Atlas et les berbères en profitaient pour demander des nouvelles; en général les français étaient assez généreux et partageaient les provisions, distribuaient des médicaments ou bien donnaient des conseils pour soigner les malades, dans les cas très graves on essayait l’évacuation. Les berbères calculaient les distances en heures de marche ou bien en quart ou demi-journées : la première chose qu’ils achetaient était une montre, signe de richesse. Les européens en général estimaient les berbères et c'était réciproque.
Au début mes parents louent le chalet SIMOND (qui n’est pas encore terminé): pas d’eau courante (un berbère avec son bourricot fait la navette jusqu'à une source proche pour l’approvisionnement en eau potable. Pour l’ éclairage des lampes à carbure sont allumées le soir, ainsi que la cheminée pour chauffer le chalet. Pour laver les enfants il y a des baquets …Laver le linge est une dure corvée en hiver.
Le ravitaillement arrive une fois par semaine par un camion ( l’entreprise de transport appartenait à Robert LACAZE et au baron de CASTEX) de Marrakech; c'est cette entreprise qui monte aussi les médicaments , les matériaux de construction des chalets et tout le nécessaire pour le C.A.F (Club Alpin Français) dont les gérants étaient Mr. et Mme JUVIEN. Monsieur GARCIA, d’origine espagnole, était le chauffeur du camion, très serviable... En hiver la piste est souvent coupée par des éboulements, la neige et la glace. Alors, on attend patiemment ….
Il y a aussi les camions militaires (GMC) qui font également la navette Marrakech/ l’Ouka; mais ils n’avaient pas le droit de transporter quoi que ce soit pour les civils. À cette époque tout était sous le contrôle rigide de l’Armée.
Maman n’y arrive pas toute seule et prend à son service le jeune BOULJHIM. Il apprend rapidement les coutumes françaises. La vie est calme et heureusement les enfants ne sont presque jamais malades. On descend de temps en temps au douar des AIT OUSERTEC à dos de bourricot - Ici photo d'Alex, Geneviève, X, Bouljhim avec un chacal qui vient d’être tué le 15 novembre 1951
Le début de l"hiver 1950/51 a été très doux, puis le 7 février 1951 une grande tempête est arrivée qui se prolongea durant toute une semaine : des vents de plus de 150Km/heure et plus de 3 mètres de neige; une vingtaine de chacals hurlaient sous les fenêtres car ils avaient faim . Mon père était parti au moyen Atlas à Ifrane, à 600 km de là. Ma mère était seule dans le chalet SIMOND isolée avec ses 3 petits enfants, jusqu’ au moment où il n’y avait plus de provisions, ni de bois pour le chauffage…. Le soleil étant revenu, ma mère décide de descendre au grand chalet du S.J.S....
PHOTO CHALET SIMOND – (ici en été)
Avec tout son courage elle me laisse la garde des deux petits (j’avais tout juste 4 ans mais étais très responsable !), et elle commence la descente à pied jusqu’ au chalet de la Jeunesse et des sport. Pour faire 250 mètres, elle a mis plus d’une heure en essayant d’éviter de tomber dans des trous de neige fraîche et entre les blocs de rochers immenses… cela était vraiment très dangereux. Enfin arrivée épuisée au chalet du SJS, vers 1 heure de l’après midi où se déroulait un stage de ski, elle est reçue par Mr. Rambaud, chef de l’ établissement: tout le monde fut bouleversé par le récit de ma mère qui pouvait à peine articuler quelques paroles.. Des moniteurs partirent immédiatement secourir les enfants Besson. Bien sûr à cette époque il n’y avait pas de téléphone, et encore moins de portable…. Un bien mauvais souvenir …..
Ma petite sœur Nicole naît en 1951 à Marrakech .
Mon père démissionne du C.I.M. ( Centre Instruction Militaire) et entre au SJS sous les ordres de Mr. Georges RAMBAUD. L’organisation et les conditions de travail s’améliorent. Mon père organise les Championnats de ski du Maroc jusqu’en 1960. A cette époque il forme de nombreux jeunes marocains qui ensuite prendront sa succession. Le Service de la Jeunesse et des Sports à l’Ouka fut un établissement de premier ordre où sont passés plusieurs centaines d’élèves tant en hiver pour le ski, qu'en été pour des stages de montagne.
A cette époque de nombreux casablancais, la plupart de profession aisée (médecins, ingénieurs ) ou fonctionnaires hauts gradés ( Juges , avocats, chefs des douanes etc…) en général adhérents du C.A.F (Club Alpin Français) allaient skier à l’Ouka surtout pour Noël ou Pâques.
André Besson au milieu d'un groupe de skieurs.
André Besson avec son chien Flack.
On trouvera une autre photo d'André Besson sur ce blog, les skis aux pieds. Archives du 3 décembre 2009.
Ecole d’escalade de l’Oukaimeden en été
Puis mon père commence la construction du chalet le plus haut de la station en 1954, il sera terminé en 1958.
PHOTO du Chalet BESSON
Ultérieurement le chalet sera vendu au C.C.C de Casablanca (qui en est toujours propriétaire à ce jour). ALI était le gardien toujours très sérieux dans son travail et très estimé par tout le monde .
Les enfants devant aller à l’école en 1954, la famille descend habiter à Marrakech ( où la vie est quand même plus commode que dans le jebel ….(cf note), avenue de Safi, dans la Palmeraie. Les enfants vont à l’ Ecole de la Palmeraie.
Note: il faut être en admiration devant toutes les femmes européennes qui ont su vivre à cette époque dans le bled ou le jebel dans des conditions vraiment difficiles avec leurs enfants en bas âge !
QUELQUES SOUVENIRS EN PLUS:
En 1956 mon père a créé le Photo-Camera Club Marrakechi avec Mr. de LANLAIS ( Assureur).
Mon père avait le numéro de sociétaire et le carnet Nº 1
Invasion des sauterelles : février 1960
Ma mère se souvient que les berbères et les arabes du sud-saharien mangeaient les sauterelles grillées .
Cette invasion de sauterelles fut un vrai désastre, surtout pour les populations berbères et arabes : il y avait tant de sauterelles qu’il fallait mettre un foulard sur la figure et la tête pour se protéger. Sur la route, on ne pouvait rouler que lentement et en berline complètement fermée. Impossible de circuler à moto ou en jeep !!!
A la maison il fallait fermer les fenêtres et les portes. On entendait les tam tam chargés de chasser les sauterelles ….ce qui compte tenu de leur multitude ne pouvait empecher la végétation d'être totalement dévorée..
Winston Churchill
Ma mère a eu l’occasion de le rencontrer car nous vivions à côté de la villa Majorelle (ensuite achetée par Yves Saint Laurent ).
Dans la villa de Jacques Majorelle (un excellent peintre orientaliste dont j’ai acquis le livre !!!) Winston Churchill peignait le matin dans le jardin, accompagné de ses gardes du corps, fumant toujours un grand cigare et protégé d’un chapeau. ( Il fumait tout en peignant !!!) .
Nous les enfants, nous passions les après-midi à regarder les beautés de ce magnifique jardin pleins d’oiseaux rares. Nous allions quelque fois aussi jouer près des dangereuses rhéttaras (Réseau d’irrigation de puits et galeries sous terraines datant du XI siècle )
Jean Malhomme
Il vivait avec sa famille à Marrakech et ils habitaient à la Palmeraie. Mon père était très ami de ce spécialiste des gravures rupestres. Au cours d’innombrables excursions dans le jebel ils feront de nombreuses découvertes.
M. Malhomme Président de la Société des Sciences naturelles de Marrakech est à gauche sur la photo, la vice présidente esr Andrée Mazel au centre et le photographe est...
Base atomique américaine de --> Ben Guérir
La tante maternelle de Genevieve y travaillait et s'est mariée avec un américain. La construction de la Base fut décidée en décembre 1950, terminée en 1953 et elle fut remise au gouvernement marocain en juin 1963, bien après l'Indépendance.
Mon père est muté à Meknès en septembre 1960 .
Il s’occupe alors d’organiser le ski dans la zone Nord du Maroc – Stations du Mischliffen et Jebel Hebri où se construit le premier téléski de la marque grenobloise POMAGALSKI. Il crée aussi le ski club de Meknès.
Mon père reçoit la Médaille d’Honneur de la Jeunesse et des Sports.
Ma mère monte un petit magasin « La maison du sportif »; de nombreux marocains de classe aisée commencent à s’initier au ski. Mon père donne des cours à la princesse royale épouse du Prince Moulay Abdala ainsi qu’aux familles des ministres de l’époque.
Lors de ses déplacements il visite aussi le RIF avec le Ministre du Tourisme, où il rencontre de jeunes rifains très ingénieux qui ont fabriqué leurs propres skis avec des planches !
Monsieur Alfred Pujos
Grand spécialiste des cèdres -Photo prise au BOU IBLANE par mon père
Un témoignage : Mohammed Ellatifi rendit hommage à Alfred Pujos, décédé en juillet 2010,
"Ingénieur agronome de l’INA-PG, écologue et géomorphologue, Alfred Pujos a vécu au Maroc des années 1950 jusqu’au début des années 1980. Durant cette période, il a travaillé dans différentes régions du pays dont la plaine de la Moulouya, le bassin du Sebou, le Moyen Atlas, le Rif et le Pré-Rif, le Plateau Central, et la plaine atlantique, collaborant ainsi au développement du Maroc, en collaboration, tour à tour, avec le Ministère de l’Agriculture, la Faculté des Sciences de Rabat, le Projet DERRO, et la Direction des Eaux et Forêts et de la Conservation des Sols, auprès de laquelle il a été, fin des années 1970, expert écologue de la FAO.
Je l’ai, personnellement, connu à partir de 1972, alors que, jeune ingénieur des Eaux et Forêts, je venais de prendre mes nouvelles fonctions, à la tête de la subdivision des Eaux et Forêts de Khénifra, dans le Moyen Atlas Central. Homme de terrain par excellence, marcheur infatigable, observateur perspicace, Alfred Pujos a participé, très significativement, à la compréhension de la dynamique des espèces et des peuplements forestiers — et tout particulièrement des cédraies - ainsi qu’à la compréhension de la dynamique des espèces et peuplements forestiers, et celle de la morphologie des reliefs et des sols.(...)
Je lui dois, personnellement, ma toute première initiation à l’écologie et à la méthodologie d’observation et d’analyse du paysage, sur le terrain.
A l’instar d’autres forestiers du Maroc, qu’il a marqué de sa modestie et de sa forte personnalité, je lui en exprime ma profonde reconnaissance." Mohammed Ellatifi
Geneviève Besson conclut:
En 1965, après 15 ans passés au Maroc, nous rentrons définitivement en France non sans regrets sur le paquebot ANCERVILLE Via Casablanca et Marseille.
Merci à Geneviève de partager avec nous ses souvenirs de jeunesse. Elle prépare un livre sur André BESSON, qui parlera aussi d'avant et d'après le Maroc. Avant il fut Lieutenant au 27º B.C.A Bataillon de Chasseurs Alpins puis combattant dans la Résistance. Originaire d'Annecy et rescapé du Plateau des Glières, il lutta contre l'ennemi aussi à l'Aiguille du Midi -Mont Blanc- où se déroulérent au printemps 45 les plus hauts combats en altitude de la Seconde Guerre Mondiale.
En 1965, Geneviève a 18 ans, les BESSON sont contraints de partir du Maroc à cause de la situation politique. Ils s'installent en Espagne à Madrid, créent et développent avec succès une entreprise dans les vétements et équipements de ski. Ils la vendront en 1992 à une personne qui se révéla être un escroc et se repliront ensuite sur la Catalogne. Madame Besson vit chez sa fille la plus jeune depuis le décès de son mari en 2003.
© Ce récit fait partie des éditions Chkoun Ana au titre réservé. Il ne peut être reproduit pour publication sans l'autorisation écrite de l'auteur et sans la mention de l'édition. Mangin@Marrakech, 29 FEVRIER 2012.
Ce CHKOUN ANA de Geneviève croisera les souvenirs de nombreux marrakch'amis, soient qu'ils aient connu les mêmes lieux, soient qu'ils se souviennent des mêmes personnes. Chacun est invité à partager ce qu'il a conservé dans sa mémoire de cette période riche en rencontres où la vie n'avait rien de monotone.