La célèbre voyageuse Reynolde Ladreit de Lacharrière raconte sa rencontre avec lui.
Nous avons même une photographie de cette rencontre, non loin de Taroudant, prise par Jacques LADREIT. Dans l'ordre, assis le Caïd El HADJ, Marius DORÉE qui est blessé suite à un accident; debouts Mme de LACHARRIÈRE et un moghazni. La photo est du 25 avril 1911, Marius Dorée a 32 ans.
Son activité est moins de chercher des ressources minières, dans la perspective d'exploiter d'hypothétiques filons, mais beaucoup plus de faire aimer la France par les marocains, tout en sapant l'influence des délégués allemands soutenus par le groupe industriel Mannesmann. Il fait du renseignement, il a une formation militaire en même temps de cavalier et d'artilleur. Il faut savoir que le Protectorat ne sera négocié avec le Sultan Moulay al Hafid qu'un an plus tard à Fès. Marius est en fait envoyé par le Ministère des affaires étrangères français et non par l'Armée française. C'est un agent très spécial en mission qui dépend du Vice-Consul de France à Marrakech.
Jacques LADREIT dans son rapport parle de lui: "Depuis le début de 1911, un agent français, de l'Union des mines marocaines avait réussi à s'installer chez le caïd Haïda Oumeiz des Ouled-Berrhil à 50 km environ à l'est de Taroudant." Marius s'emploie à s'attacher la sympathie des habitants du pays par ses iniitiatives dans le but de les gagner à la cause Française; par exemple il fait venir des vaccins pour protéger les marocains de maladies contagieuses. Les cadeaux des Allemands aux caïds du Sous sont différents: montres, réveil-matin, carpettes,... ainsi qu'une carte réservée aux "Amis des Allemands", sorte de titre de recommandation auprès d'autres Allemands dans d'autres villes du Maroc. La présence de Marius chez le caïd HAÏDA OUMEIZ allait procurer à M. et Mme de LACHARRIÈRE la surprise d'un accueil magnifique par le caïd: "DORÉE occupait le repos forcé auquel le contraignait un accident, dont les suites eussent pu être plus graves.(...) Parlant arabe, habile à mille petits travaux, habitué depuis longtemps à fréquenter les indigènes musulmans, à vivre de leur vie, de caractère gai, il a conquis l'amitié du caïd El HADJ OUAMAN et des principaux personnages de la région. On ne saurait trop louer et encourager de semblables initiatives qui seront pendant longtemps encore les seuls moyens d'action sur les populations de ces régions. Nous avons eu chez les Ouled-Berrhil un exemple de ce particularisme dans la question que le caïd El HADJ posait à M. DORÉE dès l'annonce de notre arrivée.
- Les Français qui vont venir, lui dit-il sont-ils tes amis ? Si oui, je les traiterai comme toi-même; sinon dis-le moi, ils recevront ici l'hospitalité pendant une seule nuit et demain ils repartiront.
Inutile de dire que M. DORÉE assura que nous étions ses amis, bien qu'il ne nous connût pas le moins du monde, mais nous étions Français et celà suffisait. Les bonnes intentions marquées pour la France par les gens des Ouled-Berrhil avaient été prouvées par un autre fait que nous conta M. DORÉE. Il venait d'arriver à la casbah, blessé, et y était à peine installé, qu'il apprit la présence de trois prospecteurs allemands. Ceux-ci vinrent le voir et lui donnèrent d'excellents conseils dont le meilleur était... de s'en retourner au plus vite à Marrakech. Mais cette sollicitude marquait leur désir d'être seuls pour pouvoir "travailler" plus aisément le caïd El HADJ et son père. Le pacha HAÏDA qui assistait à cet entretien ne fut pas dupe de cette amabilité feinte et à brûle pourpoint demanda aux Allemands dont l'arrivée avait été inopinée :
- Saviez-vous que mon ami le Français allait venir ? et par manière d'avertissement:
- Gare à qui touchera un cheveu de la tête de mon ami, c'est moi qui l'ai appelé et tous ceux qui tenteraient de le molester encourraient ma vengeance." Il tenait a bien marquer que c'était lui qui avait provoqué le voyage de M. DORÉE (en allant voir lui-même le vice-consul de France à Marrakech, M. MAIGRET installé depuis seulement sept mois). Il demandait, en effet, depuis longtemps la venue des Français, mais des raisons d'ordre divers avaient jusque là empêché de notre part, la réalisation de ce désir."
Le couple de LACHARRIÈRE va être escorté jusqu'à Taroudant, dont le Pacha SI MOHAMMED EL KABBA, mis en place par le Sultan MOULAY EL HAFID était proche des Allemands. Mais la protection du caïd El HADJ était inviolable.
Pendant la visite à Taroudant, le couple eut la possibilité de voir combien les Allemands s'étaient imposés dans cette ville avec leurs méthodes. Labourage sous les remparts de Taroudant, Photo J.Ladreit 1911.
Le Pacha de Taroudant leur montra les installations germaniques que Jacques LADREIT nous décrit:
"Le KABBA nous mena dans un magnifique jardin planté d’oliviers, de citronniers, d’orangers chargés de fruits et au milieu duquel s’élevait un très joli pavillon. Sans cesse, il nous répétait: - Ce jardin, je l’ai donné aux Allemands. Ils ont habité dix mois dans le pavillon; ici était la cuisine des Allemands.
Tu vois par terre ces papiers, ils enveloppaient des bouteilles de Champagne. Ici, les Allemands faisaient de la photographie. Là, ils travaillaient pour les mines.
En effet la terre était parsemée de scories et dans un coin s’élevait un tas d’échantillons minéralogiques qui paraissaient provenir de gisements de cuivre."
Visiblement la France avait du retard sur les Allemands, mais les méthodes d'approche étaient différentes: Les Allemands arrivaient avec des cadeaux et des douros mais parlaient mal ou rarement l'arabe. Ils étaient obligés de se faire accompagner d'interprètes juifs (Ismaïl YEDDADIN était l'interprête des Mannesmann). Face à eux, un seul homme dans la région Marius DORÉE, parlant parfaitement l'Arabe, attentif aux besoins des habitants et répondant à leurs demandes de soins et de vaccins.
Marie-Josèphe nous rapporte que son grand oncle Marius avait rencontré le frère Charles de FOUCAULT en Algérie et avait été impressionné par son exemple. Il savait qu'un homme seul, cherchant la compagnie confiante des marocains avait plus de chance de consolider leur amitié. Comme les marocains, il racontait souvent des histoires chères aux berbères avec des renards, des hérissons, des serpents, des lions,.. Dans ce domaine ils possèdent un immense répertoire. Marius qui ne voulait pas demeurer en reste se souvint alors des fables de Lafontaine qu'il avait apprises dans sa Drôme natale et les partageait à son tour avec ses nouveaux amis.
De même quand il partait en mission auprès des villages berbères de l'Atlas, il avait remarqué que cette connivence par les histoires faisait tomber beaucoup plus rapidement la méfiance de ses interlocuteurs. Pourtant il a reconnu avoir eu très peur la fois où il fut fait prisonnier dans un douar où il n'y avait que des femmes...
Il arrivait aussi, nous rapporte Marie-Josèphe, que son grand oncle allait à Taroudant incognito: "Marius transformé en vieux mendiant s'étant accroupi plusieurs jours près de la demeure des Allemands, avait observé qu'à un moment il n'y avait plus personne à l'intérieur, et s'est emparé de leur drapeau et de documents importants"
Marius DORÉE faisait partie du petit groupe des français venus d'Algérie et parlant l'arabe pour entourrer le Vice-Consul MAIGRET à Marrakech depuis septembre 1910. Dans ce groupe il y avait le Médecin-Major GUICHARD, les officiers qui servaient d'instructeurs en artillerie pour les troupes chérifiennes du Sultan, le commandant JACQUET, le capitaine LANDAIS (qui, un an avant les troupes du Colonel Mangin avait prévu les plans du Guéliz et de son camp militaire), il y avait aussi le lieutenant HARING, commandant le Tabor, le lieutenant Kouadi,.. Le maréchal des Logis FIORI vint plus tard avec le Cdt Verlet Hanus.
Ce groupe fut aux premières loges quand El HIBA et ses hommes bleus remontèrent par Tiznit et Taroudant pour occuper Marrakech en juillet 1912. Marius fut caché et protégé par ses amis berbères et renseignait ses chefs sur les mouvements de l'ennemi du Sultan Alaouite, tant dans leur montée vers Marrakech qu'ensuite en septembre leur fuite vers Taroudant et Tiznit.
Marius DORÉE va rester dans le région de Taroudant pour convaincre les tribus dissidentes de se rallier au Sultan Alaouite et d'abandonner leur soutien à EL HIBA. La littérature nous a donné un deuxième témoignage sur lui par un récit du Docteur Paul CHATINIÈRES, écrit en juillet 1914.
"Au printemps 1913, les trois harkas commandées par El Hadj Thami, pacha de Marrakech, le caïd des Rehamna et le caïd El Goundafi, convergèrent vers le Sous, amenant une batterie de 75 Schneider,
Après quelques combats El HIBBA fut contraint de fuir une deuxième fois et de se réfugier plus au sud dans les montagnes de l’Anti-Atlas. Taroudant tomba entre les mains des troupes du Maghzen; Un vieux caïd du Sous, très influent et très énergique, le vieux caïd HEIDA OU MOUIS qui avait coopéré à la prise de Taroudant fut nommé pacha de cette ville. (…)
Doté par le Protectorat des fonds et de l’armement nécessaire à l’entretien d’une petite armée, HEIDA OU MOUIS avait rallié une à une les tribus du Sous restées fidèles à El HIBBA.
Un européen M. DORÉE, représentant à Taroudant, le protectorat français, avait pu, grâce à son tact et à sa grande connaissance des gens du Sous, prendre de l’ascendant sur l’esprit du Pacha et diriger prudemment et habilement cette campagne d’occupation.
Sa tache lui avait été facilitée par sa sympathie et, la confiance qu’il avait obtenues des populations du Sous.
Notre mission médicale partit escortée de douze cavaliers Maghzen.(…)
Le pacha HEIDA OU MOUIS s’honore d’être arabe et il tient de cette origine, la fougue, l’esprit d’aventure, les goûts nomades et l’allure hautaine du grand seigneur, mais par sa mère il a hérité du sang chleuh, du bon sens et de la souplesse de la race. Dès que le pacha eut mis pied à terre aussitôt entouré par les caïds du Sous présents, il s’avança majestueux et superbe vers le colonel de Lamothe auquel il débita de banales formules de politesse et je fus surpris de lire dans sa raideur un peu distante, de la méfiance ou de la timidité.
Il n’avait eu avec le colonel que des relations épistolaires et s’il avait la belle allure du guerrier, il lui manquait l’aplomb du diplomate.
On lui savait gré de s’être conformé strictement aux recommandations de fermeté à l’égard des ennemis du Maghzen et de modération à l’égard de ses propres administrés.
Le fougueux pacha avait accepté docilement les conseils de M. DORÉE, notre représentant à Taroudant. Le colonel l’assura de sa propre satisfaction et de celle du Général LYAUTEY, pour la loyauté et l’énergie manifestées et de leur admiration pour sa belle attitude, son mépris du danger, son ardeur infatigable dans les combats continuels où il s’était brillaient distingué. - À ces mots un large sourire détendit la physionomie du pacha jusqu’alors impassible.
Les Aït Semmeg, brigands audacieux et redoutés, tenaient sous leur coupe le col du Tizi n’Test, détroussant les caravanes qui avaient refusé de payer les droits de passage. M. Dorée qui s’était joint à notre groupe reconnut parmi nos hôtes deux chefs de bande réputés: « Te rappelles-tu lui dit l’un d’eux, nous t’avons obligé à faire demi-tour l’an dernier après avoir pillé tes bagages? Nous avons été généreux puisque nous avons épargné ta vie. Aujourd’hui, nous te recevons et tu es notre ami. Mais sois plus prudent à l’avenir si tu tiens à ta tête. « Il souriait en rappelant cet exploit et faisait le geste de couper le cou."
Marius DORÉE avait su s'entendre avec le vieux caïd HEIDA OU MOUIS et préparer sa rencontre avec le colonel de LAMOTHE. Mais ce résultat avait été obtenu non sans risques pour sa propre vie.
La reconnaissance de la France allait se porter sur Marius au début de 1914. C'est du Ministère des Affaires Étrangères et à titre civil qu'il reçut sa médaille de Chevalier de la Légion d'Honneur. Sa distinction paraissait le 17 janvier 1914 au Journal Officiel: DORÉE (Marius, Eugène), ingénieur civil à Taroudant (Maroc); 10 ans de service en Algérie et au Maroc. Services exceptionnels: actes de courage au cours de la campagne contre El HIBA.
Par la suite, avec la mobilisation générale, Marius sera engagé dans l'armée et notamment dans un régiment de Spahis sénégalais. Compte tenu de ses états de service il sera mobilisé comme sous-lieutenant. À partir de 1915 il rejoindra les Mehallas de l'armée chérifienne, notamment pour former des artilleurs marocains à l'utilisation des canons de montagne et de campagne. Puis il commandera une unité de combat quand avec ses artilleurs marocains il participa à la réduction des forces dissidentes opposées au Sultan du Maroc.
La reconnaissance de la France est parue au Journal Officiel du 6 novembre 1918. Il est admis au traitement de la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur qui lui a été conférée en 1913 à partir du 16 septembre 1918.(cinq ans après !)
M. DORÉE (Marius - Eugène), sous lieutenant de cavalerie territorial à titre temporaire, détaché au Service des Renseignements du Maroc, Chevalier de la Légion d'Honneur au titre civil par décret du 10 janvier 1914; a pris part à tous les combats livrés par les Mehallas chérifiennes depuis 1915 et a formé et commandé l'artillerie de ces forces supplétives. Le 13 avril 1918, a porté ses canons à moins de 500 mètres de l'ennemi et, par son tir précis, a permis aux partisans d'enlever une position. Le 2 aout 1918, une de ses pièces ayant été mise hors d'usage, alors que l'ennemi très mordant s'avançait rapidement, a par son ascendant, maintenu le calme parmi ses servants et continué le tir avec la seule pièce qui lui restait.
Après ces faits d'armes il revint dans sa Drôme natale et y contracta mariage avec Alexandrine BLAIN le 23 aout 1919
Mais ces preuves d'héroïsme de Marius ne furent pas les dernieres. Deux ans plus tard le Journal Officiel annonçait une promotion supplémentaire. Par décret en date du 27 octobre 1920, rendu sur la proposition du Ministre de la guerre, le sous-lieutenant de réserve M. DORÉE Marius-Eugène, sous-lieutenant des spahis sénégalais, est nommé au grade de Lieutenant pour prendre rang à dater du 7 novembre 1918.
Marius habitait avec sa femme Alexandrine en Médina de Marrakech derb du Serpent, quartier de Bab Doukkala, dans une sorte de Palais et son attachement à la Ville Rouge fut confirmé par l'institution militaire qui l'affecta au Régiment de Spahis marrakchi.
Le Journal Officiel du 1er mai 1921 le confirma: M. DORÉE Marius-Eugène, lieutenant de l'escadron de Spahis sénégalais du Maroc, est affecté au 22e Régiment de Spahis.
Cependant les activités d'agent spécial ou d"agent politique" se poursuivaient et Alexandrine se souvenait des va et viens d'hommes venant à brides abattues avec des visages plus ou moins patibulaires, pour apporter des courriers à Marius....Ses histoires impressionaient beaucoup la jeune Marie-Josèphe qui n'avait pas dix ans!
MÉRITE MILITAIRE: Sur la tombe de Marius Dorée, il est indiqué : Officier de la Légion d'Honneur,...et ensuite il ne peut s'agir que du Mérite Militaire Chérifien, car cet ordre n'existait pas en France à cette époque. Il aurait fallu attendre 1956 pour que cela soit possible. Le Mérite Militaire Chérifien est attribué à ceux qui ont déployé une action militaire significative pour le Makhzen. Or le 2 aout 1918, à Tissa, 8km au sud d'Azilal, les harkas makhzen se heurtent aux dissidents des Aït M'hammed. Marius Dorée et ses artilleurs marocains combattaient avec la harka Makhzen.
Les activités économiques de Marius Dorée à Marrakech
Le catholique Marius DORÉE va s'allier au protestant Paul CHAVANNE arrivé comme lui à Marrakech plusieurs mois avant les troupes du colonel MANGIN. Ils vont monter plusieurs activités économiques ensemble pour contribuer au développement de Marrakech et sa région et surtout aux échanges entre les produits de France et ceux du Sud du Maroc, en trouvant des débouchés aux activités agricoles et artisanales des marocains. Frédéric, le petit fils de Paul Chavanne partage avec nous une photo de grande valeur prise lors d'une des premières foires de Marrakech, probablement en 1921 ou 1922.