PREMIERS FILMS TOURNÉS EN PARTIE À MARRAKECH: LE SANG D'ALLAH, IN'CH'ALLAH & LES HOMMES NOUVEAUX.
Voir en fin d'article un film sur l'histoire du cinéma Le Colisée (passé inaperçu en raison d'un titre inadapté "Marrakech ciné stories" !!!)
Le film MEKTOUB, tourné à Marrakech et dans les Rehamna, fut en 1918 le premier film de fiction tourné au Maroc. Projetté dans les salles seulement en 1920. Tous les acteurs et figurants étaient marocains à l'exception de deux acteurs professionnels venus de Paris. Le scénario correspondait à une histoire vraie de la vie marocaine au temps du grand vizir Ba Ahmed (vers 1903). Ce film donna un rôle de premier plan à une chika, danseuse et chanteuse de Marrakech, Saïda Beni Saïd et en fit la première actrice marocaine.
Nous avons déja présenté ce film sur ce blog. voir le lien: MEKTOUB C'ÉTAIT ÉCRIT
Ce premier film tourné au Maroc précéda dans les mois qui suivirent d'autres films, soit des films à intention patrimoniale ou touristique, purement documentaires, sans acteurs, dont nous donnons une liste indicative au bas de cet article, soit des films construits avec un scénario et une mise en scène.
Une scène du film "Le sang d'Allah" tournée dans le Palais du pacha de Marrakech.
C’était un matin gris de mars dernier. Les arbres, que j’apercevais de mes fenêtres, n’avaient pas encore leur robe de feuilles. Assise au coin du feu, tisonnant les braises et mes souvenirs, je m’efforçais de lutter contre ma grande nostalgie du soleil et de l’azur de mon pays natal. Certaines femmes sont mélancoliques le soir, d’autres ont du vague à l’âme toute la journée, la plupart, et je suis de celles-là, en ont surtout le matin, quand elles viennent de murmurer – ou à peu près – et sortant des limbes, du sommeil et des rêves.
Afin de pouvoir prendre mon courage à deux mains, je venais de poser ma tasse de thé sur la cheminée lorsque retentit l’appel du téléphone.
- Allo! Mlle Fabienne Fréa ?
- On le dit.. lançais-je sans aménité.
- Franz Toussaint…
- Oh! Pardon…
- Vous allez bien ? Oui ? Alors, si vous êtes libre et si ça vous chante, nous partons demain soir pour le Maroc. Mon film… In’ Ch’ Allah ! Je vous ai choisie… Je vous confie un des rôles principaux.
Dans mes joyeux égarements, et à ma honte immediate, moi qui eus un premier prix de géographie au couvent des Dames de Sion (mais j’avais dû copier mes compositions…) je demandai à M. Franz Toussaint:
- Est-ce que le paquebot fera escale à Smyrne?
Dieu est grand ! La communication avait été coupée. Mon intimidant interlocuteur n’a pas entendu cette question déplorable.
Et ma chambre, aussitôt, fut inondée de soleil, et des oiseaux merveilleux étincelèrent dans les arbres qui s’encadraient dans mes fenêtres et un puissant parfum de rose, de jasmin, d’oranger en fleurs, m’environna.
Était-ce vrai? Demain, le Maroc ? Ses grands sables où palpitent les mirages. Ses jardins édéniques… Au bord de la mer, Mogador, Mazagan, Rabat, Salé, ces villes blanches qui sont le collier d’Anphitrite…. Demain, le Maroc ! Fez, Marrakech, les neiges de l’Atlas, ses fontaines d’eau bleue, tous ces arômes qui m’attendent et dont je ne pourrai peutêtre plus me detacher !
Le temps d’allumer une petite cigarette, et j’ai retrouvé ma lucidité: “Ma fille, il ne s’agit pas d’un voyage d’agrément. Il s’agit d’un film, qui n’est pas une petite affaire. Pour comble, on te donne un des principaux rôles. Quel poids pour mes frèles épaules! Tu ne seras jamais capable de t’en tirer.” Ah! Comme j’ai envie de dire tout de suite à M. Franz Toussaint que j’ai la grippe, ou que je viens de me casser la jambe, ou que mon fiancé m’interdit de partir !
Un des principaux roles d’In’ Ch’ Allah! Avec Stacia Napierkowska, la grande étoile… Non ! Je n’ose plus…
J’ai un prétexte. Je suis étrangère. Je ne possède aucun passeport. Je sais qu’il faut plusieurs semaines de démarches pour en obtenir un et la troupe s’embarque après demain. Je lui parle de mes papiers, qui ne peuvent être en règle avant longtemps….
- Mademoiselle, vous les aurez ce soir-même. Le nécessaire a été fait.
Le sort en est jeté !
- Quelles robes dois-je emporter ? dis-je avec résignation?
- Rien pour le film. Vous jouez un role en sultane. Comme il fait déjà chaud là-bas , ne vous munissez que de robes très légères, de petits chapeaux et d’ombrelles.
Bien entendu je n’ai entassé dans mes malles que des robes d’hiver, des manteaux, des fourrures et des parapluies.
Ça commençait bien ! Et je suis quand même arrivée à Casablanca, mais sans avoir apercu Smyrne.
À partir de ce jour, il m’est difficile de classer mes souvenirs du Maroc. J’ai vu tant de merveilles ! j’ai savouré tant de délices et j’ai eu de telles fatigues ! Tout est encore pêle-mêle dans ma mémoire. La décantation sera longue. Quand j’évoque Fez, Marrakech ou Rabat. Je vois d’abord verdoyer des Jardins écrasés de lumière, des jardins ou les rosiers et les géraniums en fleurs sont des arbres. Des ruisseaux mélodieux, des fontaines et des bassins aux parois incrustées de mosaïques multicolores y répandent une fraîcheur d’oasis. Je ferme encore les yeux et c’est Fez dans une nuit lumière. J’écoute le bourdonnement qui monte de cette ville aux six cents mosquées. J’écoute les chant d’un moueddin’ qui appelle à la prière. Je vois le désert blanc des caravaniers exténués qui se traînent vers un puits tari. Et j’entends M. Franz Toussaint qui clame en arabe avec force jurons qu’Allah ne lui pardonnera jamais :”Ne regardez-pas les appareils !”
Je vois les opérateurs qui, ruisselants de transpiration pestent contre la poussière de sable qui va peutêtre atteindre leur pellicule. Je distingue M. Marco de Gastyne qui a des démélés avec nos turbans et nos robes. Je suis des yeux, avec angoisse, un de nos chauffeurs, qui est parti à la recherche d’eau qui refroidira son radiateur. J’entends annoncer que le chef de l’immense caravane convoquée pour trois heures dans la palmeraie de Sidi Harazem s’est trompé de route et ne pourra nous rejoindre que dans trois jours. J’assiste, le coeur battant, aux vertigineuses prouesses équestre qu’éxécute Brahim El Hadjeb, cet Arabe qui est le héros du film et qui risquait chaque fois sa vie avec une complète indifference.
À présent, dans le calme d’une retraite champêtre, je laisse vagabonder mon esprit parmi toutes les splendeurs auxquelles j’ai modestement participé. Tous ces souvenirs resteront mon plus cher trésor. J’ai beaucoup vu, j’ai essayé de retenir beaucoup. Puisse le sablier du Temps tarder à effacer dans ma mémoire les lumineuses images qui enchantent actuellement mes jours !
In’ Ch’ Allah (S’il plait à Dieu!). Parmi tous ces souvenirs, il en est que le père Kronos ne pourra pas détruire.
Si je dois à ce film d’avoir fait leplus beau voyage que l’on puisse imaginer, je lui suis surtout reconnaissante de m’avoir donné de connaître, d’aimer, et d’admirer davantage encore Stecia Napierkowska qui sera l’innoubliable flamme d’In’Ch’Allah! Son charme, sa grace, sa bonne humeur permanente dans les moments les plus pénibles – et nous en avons eu ! – étaient notre réconfort, notre stimulant.
Mais quel bavardage ! Vraiment, pensez-vous, ne ferait-elle pas mieux de nous dire quand on verra In’ Ch’ Allah !
Vous le saurez bientôt !
Il ne reste à la petite sultane qu’à s’excuser de n’avoir été que le pâle reflet de la femme mystérieuse et tragique dont M. Franz Toussaint a conçu l’existence. Fabienne Fréa
LES HOMMES NOUVEAUX, film d'E.É. VIOLET et de É.B. DONATIEN.
Ce troisième film tourné dans plusieurs villes du Maroc comporte plusieurs scènes à Marrakech, notamment dans la palmeraie où l'acteur Georges Melchior joue le rôle du capitaine de Chassagnes, victime d'une agression. Il s'agit d'une adaptation du roman de Claude Farrère au titre éponyme. Claude Farrère a composé lui-même le scénario et s'en explique: "J’ai tenu à faire le scénario moi-même du film Les Hommes nouveaux. Certes, je n’ai rien d’un homme de génie et je le regrette amèrement chaque jour, mais j’ai l’orgueil d’avoir fait un scénario de saine propagande où se trouve magnifié l’effort colonial français qui n’est pas ce qu’un vain peuple pense, puisque la conséquence la plus directe du succès de cet effort est d’épargner le sang humain sur la terre.
Elle est très belle et très séduisante, il va sans dire. Née d’une famille racée,(dans le premier sénario elle se nommait Christiane de Sainte-Foix) elle en a le courage, l’orgueil, et le goût de la sincérité. Elle a pu tromper un mari qu’elle n’aimait pas, et qui ne l’aimait pas; mais ce mari tué à la guerre, elle a eu "honte et horreur » de son amour, et elle a rompu, comme on accomplit un sacrifice nécessaire. Bourron, lui, est « l’homme nouveau ». Comme nous l’apprenons en même temps que Christiane à Tanger en 1910, il avait « moins que rien »; cinq mille francs empruntés; il « vaut » à Casablanca en 1922 douze millions. La différence suffit à montrer quelle manière de génie est Bourron; à une époque où le Maroc se fonde économiquement, il a su acheter et vendre des mules, des conserves, des terrains, et demain le pays entier lui appartiendra. Cela suppose évidemment un homme taillé pour la lutte, tour à tour fort et rusé, et sachant écarter les scrupules. Bourron a l’orgueil de sa fortune et de sa force, et ne veut pas être confondu avec les nouveaux riches de Paris ou de province. Car, dit-il « après eux rien ne reste que la misère de la France après nous la richesse d’un grand pays… Je me suis élevé, et j’ai élevé l’empire… » Envisagé ainsi un Bourron ne manque pas de grandeur que nous reconnaissons à un Carnegie ou à Rockfeller. Mais elle ne peut lui donner malgré ses prétentions ce qui lui manque totalement: l’éducation des manières, et surtout des sentiments.
Mais que ce ménage tourne mal, nous ne nous en étonnerons pas, malgré leur grande bonne volonté réciproque. Car ils se heurtent journellement à propos de ces menus riens dont justement la vie est faite. Christiane découvre peu à peu la grossièreté de son mari et en souffre, et s’ennuie sans savoir pourquoi, malgré l’adoration qu’a pour elle Laure, la délicieuse fille du premier mariage de Bourron.(jouée par Marcelle Legrand).
Mais l’orage affolé de la jalousie se lève sur lui quand Louis de Chassagnes, blessé dans une expédition et mourant pour son devoir, demande Christiane à son lit de mort.
Christiane insultée, brutalisée et enfermée s’enfuit, à la mode du pays, par les terrasses. Bourron perd en même temps que sa femme, sa fille révoltée de l’aveugle brutalité de son père; « Car, dit le philosophe du roman, M. Maurice de Tolly, vous avez un coeur d’or, un cerveau d’acier, et le reste à l’avenant. Vous serez donc un demi-dieu, la chose est possible, mais un gentleman, non, la chose ne l’est pas. Or, les femmes, bétail illogique et saugrenu, n’aiment que les gentlemen. Les femmes donc ne vous aimeront pas. Jamais. »
L'affiche du film ne dit en rien que cet intérieur bourgeois se situe à Casablanca, mais elle est significative de l'époque. La Première du film aura lieu à Paris le 12 janvier 1923, au Gaumont-Palace et au Aubert-Palace et la diffusion dans les salles à partir du 26 janvier.
Trois réalisateurs, trois approches différentes, l'un Luitz Morat est un homme de cinéma expérimenté, il arrive à Marrakech avec la meilleure équipe technique du moment et un grand nombre d'acteurs européens. Il met en scène des milliers de marocains, mais ne leur confie aucun rôle d'acteur. L'autre Franz Toussaint est plus un auteur qu'un homme de cinéma. Il continuera plus tard à écrire des scénarios, mais ne voudra plus être réalisateur. Son équipe technique est légère. Il connait très bien l'arabe et sa culture. Il prévoit des figurants marocains mais compte en centaines et non pas en milliers. Il confie des rôles d'acteurs à deux marocaines et deux marocains. Les premiers après Saïda Beni Saïd, actrice dans Mektoub, c'était écrit. Édouard-Émile VIOLET a déja réalisé plusieurs films. Il adapte un roman à l'écran dont il n'a pas écrit le scénario et arrive au Maroc avec son équipe de techniciens et d'acteurs qui a déja tourné plusieurs scènes sur le bateau. Il n'y a pas d'acteur marocain dans la distribution, seulement des figurants.
Ce film muet précéda de 13 ans un autre film avec le même titre et la même histoire. Il ne faut pas les confondre entre eux. Le film parlant qui fut tourné en 1936 fut réalisé par Marcel L'HERBIER.
Ces trois films muets tournés en partie à Marrakech et d'autres lieux du Maroc donnèrent l'occasion à plusieurs marocains de goûter à une carrière d'acteur de cinéma. À la première actrice Saïda beni Saïd qui joua dans Mektoub en 1918, viennent s'ajouter Messaouda Bent Yella et Zouhra Bent Yabla. Les femmes marocaines investirent le cinéma avant les hommes puisque nous ne connaissons que les noms de Brahim El Hadjeb et de El Hadi Ben Moukhtar comme acteurs en 1922. Mais les miliers de figurants, notamment dans le film de Luitz Morat, pouvaient donner l'espoir d'un futur développement du cinéma marocain.
Les quatre premiers films muets tournés au Maroc comportent des scènes filmées dans la Ville rouge: Marrakech, première capitale du cinéma au Maroc.
Quelques films documentaires de la même époque à Marrakech et environs:
Films documentaires de réalisteurs et opérateurs inconnus, sans fiction, tous sortis en 1920, seule la société de production est parfois indiquée.
Ces films ont été conservés et il est possible de les visionner sous certaines conditions.
On notera aussi parmi les premiers films sur la Perle du Sud:
Marrakech de René Moreau. produit par la CUC en 1922 - Film de 10 minutes en 35 mm - Noir & Blanc et Teinté - France
Hadj Saïd LAYADI, le grand-père, a acheté la salle en 1953 avant l'indépendance mais à l'époque des attentats de Casablanca. Aïcha Ait Belkheir est ouvreuse depuis le début des années 1970. Le Colisée ne compte aujourd’hui plus que deux placeuses, contre cinq autrefois. En 2009 Mohamed Layadi, est gérant après le grand père. Dans la rue du Colisée, les trois autres salles des confrères ont disparu. Entre 1995 et 2007, le nombre d’entrées a chuté de 70%. Le royaume ne compte plus que 94 écrans, contre 300 dans les années 1980.
On peut commander le CD à Meroé films: https://www.meroefilms.fr/?post_type=fiche_film&p=15
Les Marrakchis qui ont des souvenirs de leurs cinémas peuvent les partager dans les commentaires ci-dessous.