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MANGIN@MARRAKECH
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6 juillet 2019

LA PREMIERE MESSE ET PREMIÈRES ÉGLISES À MARRAKECH 1912 - 1919

UNE CARTE POSTALE DU PHOTOGRAPHE MAILLET FAIT DÉBAT  

Premiere-messe-Maillet-1 Le photographe L. MAILLET réalisa une série de cartes postales en septembre 1912, comme d'autres photographes venus à la suite de la colonne MANGIN. Parmi celles-ci on en trouve une dont la légende est "Première messe à Marrakech, le Père FABRE officiant." Probablement le photographe MAILLET (ou l'imprimeur de ses cartes postales) est allé un peu vite en rédigeant cette légende. Il s'agissait bien de la première messe qui eut lieu dans les jardins de Dar Beida, en plein air, à côté du magnifique palais du sultan qui après son occupation par les hommes bleus de El Heiba fut partiellement aménagé en hôpital pour les blessés et les malades. Mais non, il ne s'agissait pas du Père FABRE !

Le Père Michel Fabre (Aveyronais) qui faisait partie du groupe des aumôniers militaires franciscains de langue française se trouvait à Fez en avril 1912 et avait été agressé et malheureusement tué le 17. Le Père qui avait été chargé de l'aumônerie militaire à Marrakech était le Père Austinde CASTAING, l'un des cinq premiers prêtres franciscains français à rejoindre les troupes françaises au Maroc. Il avait été envoyé par le diocèse d'Auch en février 1908 et avait dans un premier temps été affecté à l'armée du Général d'Amade dans la région de Ber-Rechid.  Puis affecté au Maroc oriental dans la région d'Oujda. En septembre 1912, il suit la colonne Mangin.

Austinde-Castaing-Premiere-messe-2  Sur la photo, probablement du dimanche 15 septembre 1912, il s'agit du Père Austinde CASTAING qui resta quelques mois à Marrakech avant d'être remplacé par le Père Apollinaire COLOMBIÉ qui à l'époque de la photo était encore à Meknes.

Nous avons réuni plusieurs lettres ou articles, véritables documents, qui nous parlent des premières années de l'Église catholique romaine à Marrakech:

- 21 avril 1913 par le Père Austinde CASTAING.( article dans Le Petit Marseillais)

- 25 septembre 1913 article par un officier de tirailleurs.

- Trois communiqués successifs avant la grande guerre par le Père Apollinaire COLOMBIÉ

(20 février 1914 - 26 mars 1914 et 6 juin 1914)

- 28 avril 1918, un article par le Père Apollinaire COLOMBIÉ pour la construction d'une église au Guéliz.

Nous reproduisons ci-dessous ces textes méconnus.

Une lettre à un journal "Le Petit Marseillais", signée du Père Austinde CASTAING lui-même, confirme qu'il était bien le premier prêtre en poste à Marrakech:

Marrakech, le 21 avril 1913

Monsieur le directeur,

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la lettre du Père Théophile MALAUSSENA et celle de cette dame, ancienne infirmière au Maroc qui a eu la bonté de venir confirmer l'exposé de mon confrère de Fez. J'ai été frappé de la ressemblance des besoins dans tous les hôpitaux du Maroc. Quelque assiduité que mette l'aumônier à vister les malades, quelque soin qu'il apporte à les distraire, il ne peut être toujours là; son ingéniosité serait vite épuisée et, en toute hypothèse, il ne peut guère demeurer que quelques minutes dans chaque salle.
Parmi nos malades, les uns, absorbés par leurs souffrances ont assez à faire de gémir et de se soigner; les autres, ceux dont la convalescence est déjà avancée, se lèvent plus ou moins tard, se promènent, causent, jouent; d'autres, enfin, ne souffrent guère, mais leur faiblesse ou le genre de maladie dont ils sont affligés les oblige à demeurer couchés.

Ces derniers sont les plus nombreux. Leur plus grande douleur, c'est l'inaction; leur plus grande épreuve c'est l'ennui "l'inexorable ennui" qui pèse sur eux. Quelquefois, j'aborde ainsi l'un ou l'autre:

-Mon bien cher ami, vous avez l'air de vous ennuyer.

- Ah! mon Père, il y a quinze jours, vingt jours que je suis au lit... Si, du moins, j'avais de quoi lire.

- Je vois des journaux et des revues dans la salle.

- J'ai tout lu, deux fois et trois fois.

- Vous les savez par coeur, n'est ce pas ?

- Oui, ou peu s'en faut, répondent-ils avec un sourire mélancolique.

D'autres fois, passant devant un malade avec mon courrier que je venais de prendre, je me suis entendu dire:

-N'auriez-vous pas des journaux à me prêter mon Père ?

Intelligenti pauca, me disais-je, et il m'est arrivé de céder ceux que je tenais à la main, sans même y avoir jeté un coup d'oeil..

Dans cet état de choses, vous comprennez, monsieur le directeur, que la visite de l'aumônier est doublement précieuse aux chers malades lorsqu'il leur apporte autre chose qu'une poignée de main, un sourire et de bonnes paroles... lorsqu'il leur apporte un journal. Je vous remercie de tout coeur, et mes malades aussi, de vouloir bien, désormais, nous envoyer plusieurs exemplaires de chaque numéro du Petit Marseillais. L'abondance relative où vous nous mettez a déjà produit des résultats. Au lendemain de la distribution de votre premier envoi, je vois un malade fort occupé avec un journal:

- Que lisez-vous ? Lui dis-je ?

- Un des journaux que vous avez apporté hier... C'est le troisième numéro que j'ai pu attraper, répondit-il avec un petit air de contentement.

Ce contentement, monsieur le directeur, il ne fut pas seul à l'éprouver et j'ai voulu tout en vous exprimant ma reconnaissance, vous la faire partager.

Agréez, monsieur le directeur, l'expression de mes respectueuses salutaions.

P. Austinde CASTAING, franciscain, aumônier militaire. 

Maisonnave-Dar Beida-Limanton-1913-4  "Leur plus grande douleur, c'est l'inaction; leur plus grande épreuve c'est l'ennui "l'inexorable ennui" qui pèse sur eux."

Des bibiothèques: À la suite de cette lettre, remarquablement bien écrite, par ce prêtre, ancien professeur de théologie au séminaire de Fribourg, publiée dans le Petit Marseillais le 6 mai, le directeur du journal amplifiait la diffusion gratuite de ses journaux pour doubler le nombre d'exemplaires envoyés dans toutes les aumôneries du Maroc et lançait une opération pour encourager ses lecteurs à effectuer des dons de livres dans le but de constituer des bibliothèques dans chaque hôpital du Maroc

apollinaire-colombié- superieur-des-franciscains-maroc-occidental-1935

Deuxieme curé de Marrakech: Nous ne savons pas à quelle date précise le Père Apollinaire COLOMBIÉ a succédé au Père Austinde, probablement à la fin du printemps 1913, mais nous avons à son propos un article d'un officier dès le mois de septembre 1913. La photo est plus tardive: 1934.

Un officier de Tirailleurs à Marrakech envoie le récit suivant « Une messe célébrée au camp »
Camp de Marrakech, 25 septembre 1913.
« La messe sera célébrée demain à 7h30, au Guéliz » (Rapport du commandant du camp du Guéliz) - J’irai !
Il m’est sans doute arrivé quelquefois, en France, de manquer la messe. Mais ici rien ne m’empêche d’y assister, et puis, une certaine curiosité me pousse à voir ce qu’est une messe au camp.
À 7h30, je me dirige vers l’allée des Souks. C’est près de là m’a-t-on dit, que se trouve l’église. Je cherche vainement, je m’enquiers; enfin, l’on m’indique une baraque en planches que rien, d’ailleurs, ne différencie de ses voisines. C’est là pourtant La Chapelle, à côté de laquelle passerait pour une cathédrale la plus pauvre église du plus pauvre hameau de France. 

chapelle_provisoire_Gueliz-Sancan

Quelques voliges mal jointes forment une pièce de 9 à 10 mètres de long sur 6 mètres de large; de simples chevrons constituent la charpente, et les fermes, placées tout les trois mètres, sont contreventées par des planchettes provenant de caisses de conserves que l’on a démolies. À mi-hauteur, une lisse horizontale de renforcement partage en deux les parois; les panneaux inférieurs sont comme le sol, tapissés de nattes en jonc. Sur l’un des grands côtés, une porte; sur l’autre une porte et une fenêtre à volet-trappe, qu’un manche de pelle tient soulevé. Une couverture en tôles ondulées complète la modeste construction. 
Combien nous sommes loin des monuments superbes dressés sur le sol de France ! Néanmoins, on prie aussi bien entre les planches de l’humble baraque qu’entre les murs dorés de certains temples où les richesses sont répandues à profusion. 

A-Dubois-chapelle-provisoire-Guéliz-1918-n20

A l’une des extrémités de la pièce, une table en bois blanc est installée sur une petite estrade. A gauche se dresse un paravent percé d’un petit guichet, avec un rebord pour s’accouder: c’est le confessionnal.
Intérieur de la chapelle en bois du Guéliz.
Quelques bancs de bois constituent tout l’ameublement. Pas de tableaux, pas même d’images: c’est la paroi nue, plus encore peut-être que celle de l’étable où naquit un Dieu.
Mais si le décor intérieur est pauvre, combien riche est le tableau qui paraît par la croisée entr’ouverte ! On aperçoit, au loin, le fort du Guéliz; de hauts palmiers silhouettent leurs larges feuilles sur le ciel bleu et d’énormes bouquets de dattes, encore vertes, pendent lourdement vers le sol; les marabouts alignés tachent de blanc la terre rouge. Ici,des Sénégalaises vont, ayant sur leur tête d’immenses baquets pleins d’eau; là, sans autre costume qu’un lambeau d’étoffe autour des reins, d’autres préparent le couscous. Une multitude grouillante et criarde de petits négrillons, dont le soleil   éclaire la nudité, s’ébat au milieu des tentes, tandis que, tout à leurs devoirs militaires, les tirailleurs sénégalais circulent rapidement portant respectueusement la main à leur chéchia quand ils passent devant l’humble chapelle.
Le Père capucin (Apollinaire Colombié) qui officie régulièrement chaque dimanche - un dimanche ici au Guéliz, un à Dar Beida, à Marrakech - arrive au trot de sa mule. Il porte un petit coffret qu’il dépose sur la table formant reposoir. Dans ce coffret sont contenus les objets nécessaires à la célébration du saint Sacrifice: linge, crucifix, calice, etc…
De la boîte ouverte il fait un autel; le couvercle levé verticalement et supportant un christ doré forme un fond tapissé de rouge sur lequel se détache un triptyque sacré. Un petit livre s’appuie sur un minuscule pupitre: c’est le missel.
De chaque côté de l’autel une bougie brûle dans une lanterne.
Un coup de sonnette et la messe commence.
Pas d’enfant de choeur, pas de chants, pas d’apparat.
Le soleil entre par la porte grande ouverte et passe aussi à travers les planches mal jointes, dessinant sur les nattes du parterre comme un gril dont les barreaux seraient chauffés à blanc.
Nous sommes là - dans la nef - une trentaine de soldats de tous grades et de toutes armes. Dans le choeur, des civils: un homme et son fils, le chapelet à la main, une demi-douzaine d’enfants, pittoresquement vêtus; trois femmes dont l’une aux grands yeux noirs et à la figure pâle entourée de cheveux noirs, sous son burnous de laine blanche, arrive à cheval de Marrakech (Médina); enfin, une Sénégalaise, vêtue d’un long peignoir blanc à pois noirs, les pieds nus et la tête entourée d’un foulard de soie blanche, coquettement noué sur le côté gauche.
La messe s’achève dans le plus profond et le plus sincère recueillement, plus touchante cette fois que les grandes fêtes de nos cathédrales gothiques. Ce silence est plus éloquent, cette simplicité parle plus au coeur que la voix pourtant si impressionnante de l’orgue.
Dans ce décor ruisselant de lumière, ce bon capucin, pauvrement vêtu, avec ses sandales, sa bure et son casque, frappe plus notre esprit que les pompeuses cérémonies de la Métropole. Ce n’est point ici l’éclat des cérémonies; ce n’est pas le désir de voir ou d’être vu qui attire à la messe. L’on s’y rend en songeant qu'en France ceux que l’on aime y vont aussi, et que, malgré la distance et la diversité des sanctuaires, ce sont les mêmes prières qui montent vers le même Dieu.
(article de l'officier de Tirailleurs paru dans l'Univers du 3 ocotbre 1913) 

CP M'Kech ancien_Hôpital militaire Maisonnave 13  Le Père Apollinaire Colombié utilise aussi la presse. Il écrit une lettre depuis l'Hôpital de Marrakech, le 20 février 1914 (cette lettre sera publiée le 5 mars dans le Petit Marseillais, ainsi que dans l'Autorité)

Certains extraits ont été publiés une 2e fois dans Le Gaulois le 26 mars 1914 version courte et une 3e fois dans Le Gaulois du 16 juin 1914 avec quelques phrases en plus de la version courte). 
Monsieur le directeur,
Venu ici à la suite de nos soldats comme aumônier militaire, et obligé par la force des choses de m’occuper activement de la colonie pleine d’avenir qui se fonde, il est de mon devoir d’accomplir intégralement la mission sacerdotale qui m’a été confiée. Or, après avoir dit au blessé la parole qui réconforte, après avoir jeté au Ciel les espérances du mourant, il reste la grave obligation de travailler efficacement au renouvellement moral des âmes qui luttent ici pour « la plus grande France ». Seul, toutefois, je ne saurai atteindre le but proposé. Et si la bonne volonté est capitale dans une oeuvre, laissée à elle-même elle reste néanmoins insuffisante. Voilà pourquoi j’ai voulu vous exposer ma situation et plaider votre sympathie et celle de vos lecteurs en faveur de l’oeuvre naissante…
Au reste, la Marrakech de l'Islam a été tant gratifiée de la nature et des hommes, que la connaître c'est se sentir gagné à la nouvelle Marrakech française et chrétienne qui se lève.
Sise au sein d'une vaste plaine dont l'oued Tensif semble franger le bord de ses reflets plombés et qu'il fertilise si abondemment; protégée sur la rive gauche par une palmeraie qui étend au loin sa luxuriante végétation, où le vert foncé du palmier se marie délicieusement au vert argenté des oliviers et au vert un peu roux des grenadiers; encerclée de tous côtés par un mur élevé que couronnent de nombreux créneaux et que flanquent de loin en loin de lourds bastions; jetant enfin dans l'azur du ciel au-dessus du moutonnement confus de ses terrasses, sa gigantesque et superbe Koutoubia, ce minaret qui a défié les ravages du temps, Marrakech est bien la place forte et la cité grandiose de cette région du Sud où les Sultans ont aimé à séjourner en temps de paix comme en temps de guerre. Cet incomparable paysage est singulièrement mis en relief par la plaine qui se continue immense, tachetée ça et là de bouquets d'arbres, pour venir mourir au pied de l'Atlas géant et massif  dont l'étincellement immaculé de ses neiges barre l'horizon...
Captivante par son pittoresque, la capitale du Sud ne l'est pas moins par la diversité des races qui s'y rencontrent. La ville, qui compte près de 100 000 habitants, est avant tout un centre commercial important, le noeud économique vers lequel affluent les importations européennes de la côte aussi bien que les productions récoltées dans les palmeraies environnantes ou apportées par les Berbères de l'Atlas. C'est là que les Chleus des Glaoui, du M'Tougui, du Goundafa et les gens du Sous viennent se ravitailler.
Depuis le XIe siècle où le sultan Almoravide Youssef ben Tachefine la fit sortir de terre, Marrakech a vécu de sa vie affairée dans un site toujours plus beau à mesure que les sultans se succédaient sur le trône du Maghreb. Mais le 7 septembre 1912, jour où nos armées victorieuses pénétraient dans l'enceinte fortifiée du Sud, a marqué une phase nouvelle de son existence déjà longue. Une civilisation nouvelle a pénétré dans ses murs: la civilisation qui vient de France.
Si durant les premiers mois de l'occupation, la cité musulmane témoigna quelques hostilités, à cette heure elle s'habitue à voir le soldat et le colon dans ces rues. Elle sent fort bien que si la France est là, c'est dans son intérêt.
Dès lors, cette ville déjà, si commerçante, aux alentours si fertiles, que de sages mesures municipales s’efforcent d’améliorer dans l’intérêt de tous et auprès de laquelle se fonde la nouvelle ville française, d'ailleurs déjà prospère, va inévitablement acquérir un essor nouveau; Marrakech va devenir un des centres français les plus importants du Maroc. "Tout celà dit-on, c'est la civilisation qui entre."
Oui, sans doute, c'est la civilisation; mais, certes, non pas toute la civilisation. Pour l'avoir dans son intégrité, une lacune reste, qu'il faut combler; je veux dire la lacune religieuse.
Peut-on, en effet, parler de civilisation tant qu'on s'est contenté d'apporter à un peuple les avantages matériels qui nous sont propres et de lui créer des besoins nouveaux qui le démoralisent parfois encore plus, dès qu'il veut les satisfaire ? Certainement non !  Qui dit civilisation dit sans doute bienêtre, mais encore et surtout assainissement moral, progrès, ascension du peuple conquis vers un idéal plus noble. Or, comment nous poserons-nous en face du Marocain religieux jusqu'au fanatisme, comme pionniers d'une civilisation plus haute ?
Comment capterons-nous sa confiance, s’il nous voir faire fi de ce qu’il a de plus sacré, si nous ne nous efforçons point de lui montrer que le Français aussi a un Dieu qu’il sert et qu’il aime ? Si les mosquées sont multipliées sur tous les coins de la ville, nous avons là un indice que le Marocain nous estimera davantage le jour où nous aussi nous aurons notre… mosquée chrétienne...
D’ailleurs Marrakech ne saurait attendre plus longtemps une église catholique, il y a actuellement, ici, plus de 2000 Européens. Sur ce nombre, combien désireraient avoir une maison de prière ! Et qu’il  est désolant pour un prêtre de ne pouvoir satisfaire un si légitime désir. Quant à l’élément colon, qui vit exclusivement impliqué dans les soucis de la terre, sans idéal plus noble. - hélas ! Qu’il est nombreux ! - il est inutile de souligner la nécessité qu’il a d’une modeste chapelle, où il entendra parler de justice et d’éternité.
Et à travers cette population, que d’enfants poussent au petit bonheur sans qu’on ait tracas de leur éducation et de leur formation religieuse ! Ah! Qu’ils auraient besoin d’une église où le prêtre leur enseignerait à faire oeuvre utile dans la vie.
Mais il est une autre portion de cette population européenne de Marrakech, celle qui est ma première raison d’être ici, celle qui m’a fait dire adieu au doux pays de France et qui a toute mon affection et tout mon dévouement: elle est composée de 7000 soldats de la garnison du Sud. Sans doute, tous ne sont pas venus de France; mais néanmoins, la majorité reste chrétienne, et dans l’armée noire elle-même beaucoup se glorifient de leur appartenance au vrai Dieu. Eux aussi attendent un lieu de prière qui comblera le plus cher désir de leur coeur.
Sans doute, monsieur le directeur, les circonstances politiques actuelles me défendent d’espérer un secours de la part de ceux qui siègent au faite du pouvoir. Je les négligerai donc. Et puisqu’il est de mon devoir de prêtre de combler une lacune que, systématiquement, ils laissent subsister dans l’organisation de la ville de Marrakech, je ferai appel au coeur de toutes les mères chrétiennes qui veulent leurs fils du Maroc fidèles à leurs devoirs religieux, à tous ces vrais coeurs de Français et de Françaises qui souhaitent une France toujours plus grande, toujours plus belle.

Apollinaire-Colombié-LeSemeur-5avril-1914

Par la voix de votre journal, je leur demanderai de m’aider de leur obole à doter Marrakech d’une modeste chapelle. Ils ne me refuseront certainement pas un secours qu’ils sauront demander pour Dieu, nos soldats et la France…
Je vous prie, monsieur le directeur, d’agréer, pour une hospitalité si généreuse offerte dans les colonnes de votre journal, mes sentiments de profonde reconnaissance et mes respectueux hommages. P. Apollinaire COLOMBIÉ, Franciscain, aumônier militaire.
Commentaires: Il est intéressant de voir quels sont les passages que le journal 'Le Gaulois' a sélectionné et ceux qu'il s'est abstenu de reproduire. Il a supprimé tous les paragraphes du début qui relevaient plus d'une présentation historico-touristique visant à montrer l'importance de la capitale du Sud. Il a évité aussi les propos ambigus sur les colons. Il a retiré le paragraphe sur le pouvoir politique en France, pouvoir qui a voté la loi sur la laïcité et la séparation des Églises et de l'État (1905). L'État ne finance plus la construction des églises, même s'il finance les salaires des aumoniers militaires.
La guerre n'était pas terminée, le sort des armes était encore indécis, quand le R.P. Apollinaire Colombié va relancer son appel à l'aide le 28 avril, pour la construction d'une église au Guéliz. Ce n'est que le 11 juin que la statégie mise en place par le Maréchal Foch va donner un léger avantage aux Alliés et engager un processus qui se poursuivra jusqu'à l'Armistice du 11 novembre 1918. 
Lettre du RP Apollinaire Colombié, Franciscain, missionnaire à Marrakech
Marrakech le 28 avril 1918.
Cette fois, le Père Apollinaire écrit dans une publication catholique et donne des détails intéressants sur les premières chapelles de Marrakech.

 

50LL-CP M'Kech ancien_Derb Nakous (La cloche de l'église) 36

Envoyé par le Vicaire apostolique du Maroc dans la capitale berbère du Sud, la ville aux 100000 habitants qui marque le point extrême de la zone française, j’arrivai, après bien des difficultés, à me faire céder, à titre de location, au centre de la ville indigène (Médina) que fréquentait un certain nombre d’Européens, un immeuble « maghzen », et sa plus vaste salle fut affectée au modeste oratoire qui, jusqu’à ce jour, a servi d’abri aux saints mystères et aux pionniers chrétiens de la première heure. (Il s'agit de derb Nakous, à l'extérieur photo ci-dessus et à l'intérieur, photo ci-dessous) 

Interieur-de-ND-des-anges-Derb-Nakous

 

Les débuts de la mission, dans cette cité farouchement musulmane où l'antipathie pour le Roumi (chrétien) éclate à chaque coin de rue et exige une habileté et une prudence consommées pour ne heurter en rien les susceptibilités musulmanes, furent timides.  C'était nécessaire, tant que la victoire de nos armées n'avait pas assuré définitivement le succès de notre influence nationale, répandu partout une entière sécurité et donné aux fidèles l'audace de se montrer chrétiens.

Dès lors Marrakech s'ouvrit de plus en plus aux colons, aux hommes d'affaires qui venaient nombreux offrir leur activité, leurs capitaux et leur intelligente initiative à l'exploitation  de la fertile plaine du Sud. Un embryon de ville nouvelle commença à éclore au pied de la montagne du Guilliz (sic), dont le fort redoutable tient, sous ses canons menaçants, l'immense cité et les douars environnants, semblant leur imposer des conditions de sécurité pour la civilisation venue de France.

Le paysage où s'épand la nouvelle ville française de Marrakech-Guilliz (sic) est charmant. Avec son cadre de palmiers gigantesques, avec sa chaîne des Djebillets (petites montagnes) découpée, mamelonnée, fermant le côté nord d'un sombre rideau et contrastant singulièrement avec le Grand Atlas dont les pics audacieux bornent l'horizon sud, avec son éblouissant soleil qui sème, sur tout ce tableau, sa poussière d'or et lui communique un aspect féérique, presque magnifique, avec ses nombreuses séguias aux eaux abondantes, principe de fertilité et de richesse, ce site unique était tout désigné pour servir d'emplacement à la nouvelle ville française de Marrakech. Aussi, dès la première heure, l'administration (capitaine Albert Landais) y dessinait le large et régulier croquis de la grandiose cité dont les augures ont fort judicieusement prophétisé le futur épanouissement.

Dès ce moment, un centre religieux y était créé...

Et chaque jour voyait grossir cette agglomération cosmopolite et bizarre, faite de militaires et civils, de Français, d'Algériens, de Tunisiens, d'Espagnols, d'Italiens, de Sicilliens, de Grecs, d'Arméniens, et même de Sénégalais et de Soudanais, épaves, parfois, de bien dures infortunes. Aux âmes, tout juste chrétiennes par le baptême, ignorantes des plus élémentaires principes de notre sainte religion, il fallait apprendre leurs origine et destinée surnaturelles et l'obligation de travailler à gagner le Ciel.

C'est dans ce but qu'aidé par quelques personnes charitables, je me procurai une pauvre baraque aux planches disjointes, au toit en tôles ondulées. Un autel de fortune y fut dressé. Et ce fut là tout le sanctuaire, riche d'un dénuement qui faisait penser à la crêche de Bethléem. Pauvre masure, où l'on priait de tout coeur, néanmoins sans trop se soucier ni de la misère, ni de la chaleur tropicale que le rayonnement des tôles rendait encore plus pénible, ni surtout de l'odeur âcre et suffocante s'exhalant de l'assemblée hétéroclite.

Depuis ses débuts bien des événements se sont passés. La désolante et interminable guerre surtout est venu arrêter l'essor plein d'avenir de la nouvelle ville. Mais, tout en se ressentant du calamiteux état de choses, la mission actuelle continue à chanter au coeur du missionnaire bien des douces et réconfortantes espérances.      

Dans Marrakech indigène, le petit noyau chrétien est resté à peu près le même et le modeste oratoire du début, qui s'y trouve toujours, suffit aux besoins spirituels. À noter, cependant, dans ce premier centre, une influence religieuse très prononcée qui grâce au dévouement des Franciscains missionnaires de Marie, s'exerce très utilement sur les israélites du Mellah et reste un sérieux pronostic de futures conversions. Les oeuvres indigènes féminines qui sont projetées la développeront encore plus. 

Quant au groupement du Guilliz (sic), bien que la mobilisation y ait puisé d'importants contingents, il continue à grandir: il compte près de 2500 chrétiens. Aussi, la pauvre masure du début est-elle devenue tout à fait insuffisante et par son exéguité et par sa misère qui s'accuse de plus en plus. Depuis six ans qu'elle sert de chapelle les planches se sont disjointes, les pluies torrentielles de l'hiver et les ardeurs sahariennes de l'été les ont ravagées, la rouille a eu raison des tôles, transformées désormais en passoires aux heures de déluge. Il faut donc, de toute nécessité, un autre lieu de prière. 

5-Eglise du Gueliz-Photo-CAP-1919_N19-Collection Bazooka Joe

 

Notre vénérable évêque, pauvre enfant de saint François, comme moi, ne peut, malgré sa bonne volonté, m'offrir les ressources nécessaires pour la construction de la petite église qui s'impose.

eglise-jean-de-Prado-1935 copie

 Il me faut donc tendre la main à la charité catholique. Je le fais par l'entremise des Missions catholiques, la providentielle ressource des pauvres missionnaires ignorés. Je demande aux chers lecteurs de ce Bulletin, au nom de la Vierge Marie, à qui cette bien modeste église sera consacrée de me fournir les moyens de l'édifier.

En retour de leur charité, mes prières et celles de mes chrétiens feront descendre sur eux la bénédiction que notre Père saint François appelait sur les gens de l'Ombrie, quand voulant relever l'église Saint-Damien, il leur disait: " À qui me donnera une pierre, je promets une bénédiction du Ciel et à qui m'en donnera deux, je promets deux bénédictions !"

Lettre parue dans "Les Missions catholiques", Bulletin hebdomadaire de la propagation de la foi. 20 avril 1918, sous le titre: L'évangile au Maroc, la mission de Marrakech.
Les travaux de la nouvelle église JEAN DE PRADO, du nom d'un prêtre franciscain, martyrisé sur un bucher à Marrakech en 1631, commencèrent le 11 janvier 1919. L'église fut inaugurée en grande pompe à Noël 1920, elle était donc en construction il y a un siècle. Cette première église du Guéliz construite en dur est illustrée par les deux dernières photographies ci-contre. Nous ne connaissons pas le nom de l'architecte, nous aimerions le connaître.
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Commentaires
J
J'ai lu avec attention ce dernier article. Mon père a fait sa première communion dans cette petite chapelle, en 1931 (?) Je crois me souvenir que le prêtre officiant était le Père de Belingue, mais sans certitude.<br /> <br /> Peut être quelques lecteurs pourraient apporter plus de précisions. Merci.<br /> <br /> Jean Louis Roy
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